LE MONDE | 22.06.2012 à 14h59 • Mis à jour le 22.06.2012 à 14h59
Par Caroline Fourest, Sans détour
Ceux qui pleurent la mort de Thierry Roland préfèrent sans doute le jeu de jambes des Bleus aux seins des Femen. Pourtant, les féministes ukrainiennes ont marqué des points pendant l'Euro 2012. Après avoir pointé le bout de leurs seins contre l'Eglise catholique interdisant l'avortement en Pologne et contre la burqa à Paris (une vidéo vue 500 000 fois sur Internet), elles visaient un nouvel exploit. Dénoncer l'explosion de la prostitution en marge de la grand-messe du football européen. Toujours grâce à ce mode d'action, apparemment sexy mais hautement subversif, où le corps-objet des femmes devient un outil pour attirer l'attention contre la domination masculine.
Il faut les voir passer à l'action aux abords du stade le jour de l'inauguration en Pologne. Semi-nues et tatouées d'un : "Fuck Euro", en train d'asperger les supporteurs de foot avec des extincteurs. Image renversante de femmes blondes prenant le dessus sur un mode phallique. Un autre jour, elles ont tenté de dérober la coupe - autant dire le phallus lui-même - de l'Euro 2012. Une telle audace ne pouvait rester impunie. Les voilà embarquées manu militari par la police polonaise. Safia Lebdi, cofondatrice des associations Ni putes ni soumises et Insoumises participait à l'action. Elle en a encore mal aux côtes. Mais c'est dans la ville ukrainienne de Donetsk, en marge du match France-Ukraine, que les choses se sont vraiment gâtées.
La région est dirigée par le milliardaire Rinat Akhmetov, douteux soutien du premier ministre. A leur arrivée, les trois militantes des Femen se sentent suivies. Des gros bras, visiblement aux ordres, les emmènent au commissariat puis les kidnappent littéralement. Elles sont retenues neuf heures dans une morgue, et frappées pour les dissuader de recommencer. C'est que la rébellion coûte cher en Ukraine. Véritables opposantes politiques, les Femen sont régulièrement arrêtées, intimidées, et risquent même la prison à cause de plusieurs procès. Pour "outrage public" et "hooliganisme". Le régime a le sens de l'ironie, mais pas de l'humour. Connaissant la dureté des campagnes orchestrées contre l'ancienne premier ministre Ioulia Timochenko, rien ne leur sera épargné. A commencer par l'accusation de "salir" et de "stigmatiser" leur pays d'origine, décidément utilisée pour faire taire les femmes rebelles. A l'Est ou en banlieue parisienne.
D'autres rebelles sont attendues à Paris ce week-end. Elles viennent d'Afrique du Sud et de ses townships et ont été violées parce que lesbiennes. Par des hommes qui voulaient leur apprendre à "être de vraies femmes". Certaines en sont mortes. Zanele Muholi, photographe et militante, défend leur voix et leurs visages à travers ses portraits. Elle a également décidé de fonder un club de foot, où des lesbiennes venant des quartiers populaires du Durban jouent ensemble contre ces crimes. Plusieurs associations les ont invitées à en parler dans le cadre de l'opération "Foot for Love" et d'une série d'événements dédiés à la lutte contre le racisme, le sexisme et l'homophobie dans l'univers du ballon rond. Les commentateurs sportifs sont prévenus. Il existe un monde où un autre football est possible.
Caroline Fourest, Sans détour
Via: lemonde.fr
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