Questions à Khadija Ryadi, membre de l’AMDH
L’abrogation de l’article 489 du Code pénal, criminalisant l’homosexualité, pourra-t-elle se faire en réponse à l’appel de manifestants étrangers ? Ce n’est pas certain, rappelle Khadija Ryadi, ex-présidente de l’Association marocaine des droits humains. Pour cette militante dont l’ONG avait déjà lancé une campagne pour la dépénalisation de l’homosexualité, les actions choquantes peuvent aboutir à un effet contraire, surtout dans la conjoncture actuelle, caractérisée par une régression au niveau des libertés individuelles. Un débat serein et constructif est nécessaire pour arriver à une évolution des mentalités, très rigides sur cette question. Le combat de l’AMDH ne cessera pas pour autant, et aura pour finalité de préparer le terrain pour le changement concernant les questions de libertés individuelles.
Illi: Quelle lecture faites-vous des deux manifestations organisées mardi à Rabat, et appelant à l’abrogation de l’article 489 ?
KH. R: Il y a deux niveaux de lecture. Concernant le fond, nous sommes convaincus qu’il est nécessaire d’abolir l’article 489, et nous n’avons cessé de militer pour son abrogation depuis 2008, au lendemain de l’arrestation de personnes accusées d’homosexualité à Ksar Lekbir.
Sur la forme, je ne suis pas d’accord avec les méthodes choquantes, car ce sujet est très délicat. J’estime que des actions telles que celles que nous avons observées mardi matin à Rabat ne peuvent pas conduire à la dépénalisation de l’homosexualité. Il faut des débats sereins, constructifs. Il faut présenter des arguments, des études sociologiques, des statistiques et des faits, montrer l’impact de cet article de loi sur la vie des familles et des jeunes. C’est de cette façon qu’on peut changer les choses. Les méthodes utilisées à Rabat confirment l’image que les citoyens ont, en général, des personnes qui militent pour les droits des homosexuels, et qu’ils jugent marginales. Les droits sexuels font partie de notre structure. En tant que citoyens, nos droits doivent être respectés dans ce sens.
Illi: Vous pensez que de telles actions desservent plutôt la cause des homosexuels ?
KH. R: Oui, tout à fait. Quand il y a des actions de la sorte, cela ne fait que bloquer le débat et le dialogue. Peut-être que dans d’autres pays, ce sont des méthodes de persuasion, mais au Maroc, nous ne sommes pas encore arrivés là. Il ne faut pas oublier que l’ennemi réel de l’homosexualité, ce sont les mentalités rigides, bien plus que la loi…
Illi: Pensez-vous que votre plaidoyer et votre action puissent finalement aboutir à l’abrogation de l’article 489 dans l’avant projet du code de loi ?
KH. R: Je ne vais pas dire que nos méthodes vont changer les choses, mais il faut que le débat soit ouvert, qu’on puisse s’exprimer librement sur la question pour combattre les clichés, les préjugés et les idées préconçues. Il faudra accepter le débat pour trouver des solutions. Il ne faut pas faire le jeu de l’Autruche et dire que nous ne sommes pas concernés. Je pense aussi que, à l’heure actuelle, nous ne sommes pas assez forts pour amener à la dépénalisation de l’homosexualité. Nous continuons à militer pour les droits sexuels. Il faut y aller doucement et sereinement.
Illi: Avez-vous de l’espoir pour qu’il y ait effectivement des changements dans le futur ?
KH. R: Les changements ne se calculent pas à la minute près. Tout est question de conjonctures et de paramètres. Je peux vous dire qu’aujourd’hui, nous sommes dans une ère de régressions des libertés, au niveau de la démocratie et des droits humains. Beaucoup de combats doivent encore être menés pour la liberté d’expression… Mais ce qui est certain, c’est que nous continuerons à nous battre avec nos moyens dans l’espoir d’arracher des victoires au niveau des libertés individuelles… C’est certain que lorsqu' il y aura une conjoncture de changement, nous aurons préparé le terrain…
Via: illionweb.com
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