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Chronique, Sens et contre-sens : Amina, une jeune " Femen " tunisienne
La jeune " Femen" qui se présente sous le pseudonyme Amina Teyler continue de faire le buzz dans les réseaux sociaux et dans certains médias.Surtout après son arrestation le 19 mai dernier pour avoir tagué le mot " Femen " sur le mur d’un cimetière à Kairouan. Mais selon la version officielle, le motif juridique qui a conduit à l’arrestation de la jeune " Femen " c’est le«port illégal d’un spray lacrymogène».
Le 29 mai trois activistes du mouvement" Femen " ont, pour exprimer leur« solidarité avec Amina», manifesté devant le tribunal de première instance de Tunis et ont été arrêtées. Les téléspectateurs d’une chaîne de télévision ont assisté jeudi 30 mai à un débat où les défenseurs d’un certain ordre moral ont utilisé tous les arguments d’un autre temps pour condamner le geste d’Amina, en puisant leurs arguments dans un référentiel propre au temps mythique. D’autres participants à ce débat ont essayé d’expliquer ce geste par l’état de «santé mentale» de la jeune " Femen " .Quelle que soit la décision qui serait prise à l’issue de ces procès, ce fait «divers» qui a pris une ampleur politique nationale appelle à réfléchirsur les enjeux symboliques du mouvement " Femen " dans ses liens avec la question du sujet-femme et de la modernité dans le contexte tunisien.
Pour des esprits prisonniers d’une certaine vision du corps et de la pudeur, cette Femen tunisienne a fait scandale en publiant, sur son compte Facebook, des clichés de sa poitrine nue barrée desbarrée des mots :" Mon corps m’appartient, il ne représente l’honneur de personne " ou " Fuckyour morals " .Ce geste a généré le courroux des salafistes qui ont déclaré que la jeune " Femen " » méritait la lapidation. Dans ce sens, le ministère des affaires religieuses qui n’a rien dit ni sur « le meurtre d’un policier » par des salafistes , ni sur les agissements des extrémistes ni sur les " combattantes du niqah " , affirme dans un communiqué rendu public le 29 mai que les actes des activistes du mouvement " Femen " sont «provocants et contraires aux bonnes mœurs et aux valeurs du peuple tunisien musulman», tout en appelant «les autorités à réagir avec fermeté face à ces comportements indécents et provocateurs».
Pour d’autres esprits qui se situent dans le sens du mouvement de l’histoire, l’action des Femen en Tunisie est «soutenue par des parties étrangères suspectes et considérée comme un comportement inacceptable et condamnable».Enjeux électoralistes et politiciens obligent ! Par ailleurs, on n’a pas vu celles ou ceux qui se réclament des valeurs du féminisme exprimer leur solidarité principielle avec le mouvement Femen qu’ils considèrent « contre-productif » sur le plan culturel et sur le plan politique.
Or, selon le site dédié au mouvement féministe international " Femen " «femen.org» piraté vraisemblablement par des islamistes tunisiens, la mission de " Femen " est de « lutter contre le patriarcat ». C’est pourquoi," Femen " considère qu’il a trois ennemis majeurs: «l’exploitation sexuelle ; les institutions religieuses et les dictatures.»La cause du" Femen " est, donc, à situer non pas dans la mise en cause ni de la pudeur ni de la morale sociale mais dans la contestation de toutes les formes de dépossession du sujet humain féminin : de tout ce qui, dans les modalités de la vie quotidienne, aliène la reconnaissance de ses capacités, leur développement, leur libre exercice, c’est-à-dire l’usage de soi. Une contestation qui vise à l’émancipation de la femme, condition de l’émancipation de tous les membres de la société, n’est-elle pas, en son principe, porteuse de l’exigence révolutionnaire et ne cadre-t-elle pas- au moins sur le long terme- avec les idéaux de la dignité, de la liberté et de la justice ?
Sans aucun a priori moraliste, il y a lieu d’admettre que les idéaux du mouvement " Femen " nourrissent –potentiellement-le développement d’une conscience de la dimension nécessairement politique du processus d’émancipation des femmes partout dans le monde. C’est dans l’association de l’aspiration politique au changement social et de la revendication d’émancipation individuelle qu’il faut situer les objectifs du mouvement " Femen " pour en saisir la force et la portée.Les nostalgiques des idéaux révolutionnaires du Mai 68 international trouveront dans les idéaux du mouvement " Femen " une nouvelle mise en mouvement des grands mots d’ordre de 68 : " changer la société " et " transformer le monde " .
C’est, en effet, de sa rencontre ou de son affrontement avec le statut des femmes que dépend, pour une part importante, l’avenir de la modernité dans toutes les sociétés du monde, dont la société tunisienne. Le fait divers construit autour de la jeune " Femen " Amina interpelle le processus de la modernité qu’on doit continuer à construire, malgré les blocages mentaux et les crispationsde l’identité aveugle, dans les stratégies de liberté et d’autonomie pour permettre aux femmes etaux jeunes filles d’évoluer sans se voir opposer un interdit dû à leur sexe. Et surtout de développer une nouvelle déclinaison des verbes s’indigner, se révolter, s’exprimer.
Quel que soit le point de vue qu’on peut adopter par rapport à Amina et au geste qui a conduit à son arrestation,il est possible de dire que cette " Femen " tunisienne appartient à une génération de jeunes qui ne supportent plus de voir leurs individualités confisquées par les archaïsmes culturels et qui ont décidé d’agir avec des moyens pacifiques et symboliques. Quitte à choquer l’opinion publique !
Omar Ben Gamra
Via: tunivisions.net
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