Civitas contre Femen et Caroline Fourest: les suites judiciaires de la …

La manifestation organisée dimanche 18 novembre par l’institut d’extrême droite Civitas contre le mariage pour tous et plus largement l’«homofolie» a été marquée par des incidents violents.

Des militantes du mouvement féministe ukrainien Femen et des journalistes, parmi lesquelles Caroline Fourest, ont été frappées, comme le montrent de nombreuses photographies et vidéos.

Le jour même, Caroline Fourest et Inna Shevchenko ont porté plainte contre X pour coups et blessures, tandis que deux jours plus tard Civitas annonçait porter plainte contre les membres de Femen pour plusieurs motifs. On fait le point sur les suites judiciaires de la manif.

Inna Shevchenko et Caroline Fourest

L’activiste leader de Femen France et ses co-militantes sont arrivées au tout début de la manifestation, à 14h30. Vers 14h40 elles ont enlevé leurs vêtements, révélant des slogans comme «In gay we trust», «Fuck god», «Marie marions-nous» ou «Occupe-toi de ton cul» sur leur torse nu, se sont mises à scander «In gay we trust». Avançant parmi les manifestants, elles ont appuyé sur des petits extincteurs peints en argent et décoré des mots «holy sperm».

Inna Shevchenko nous raconte qu’en «moins d’une seconde», les Femen se sont retrouvées «à terre»:

«Ils nous ont frappées avec leurs pieds, ils m’ont cassé la dent, toutes les filles ont été battues, certaines ont eu la lèvre ouverte, d’autres le nez qui saignait, donc une fois qu’on s’est rendu compte que c’était trop dangereux, on a essayé de s’échapper. On continuait à crier nos slogans et à leur envoyer des baisers, mais ils se sont mis à nous courir après et à nous frapper […] Ils couraient et criaient comme des animaux sauvages, et certains nous ont dit qu’ils nous retrouveraient et qu’ils nous frapperaient.»

La journaliste Caroline Fourest était à la manifestation de dimanche pour filmer les militantes de Femen dans le cadre d’un documentaire qu’elle tourne pour France 2 sur «le féminisme aux seins nus et les Femen», nous explique-t-elle.

«J’ai été agressée parce que je filmais les agresseurs des Femen quand ils ont attaqué les militantes, qui faisaient une contre-manifestation», raconte-t-elle.

«L’agresseur m’a mise à terre, m’a tabassée, et on m’a arraché mon bonnet.»

Sans bonnet, elle a été rapidement reconnue par les agresseurs, qui lui ont crié entre autres choses: «Cours, sale pute, on va te tabasser.»

Si «la bestialité qui s’est dessinée n’était pas réfléchie, pas politique, mais homophobe», elle refuse le mot de «voyous» pour qualifier ses agresseurs parce qu’il y avait des mots d’ordres «politiques», comme lorsque ils ont crié «Allons-y mes camarades!». Elle affirme que «beaucoup de militants de Civitas ont joui du spectacle et se sont joints aux insultes».

Le mouvement catholique affirme dans un communiqué qu’aucun membre de son organisation «ne s’est rendu coupable de la moindre violence envers ces FEMEN».

En s’échappant, les militantes et Caroline Fourest ont aperçu «plein de policiers qui protégeaient des activistes LGBT» et ont couru vers eux, raconte Inna Shevchenko. «Ils nous avaient rassemblées dans un coin avec toutes les personnes qui pouvaient se faire péter la gueule», complète Caroline Fourest, «dans un cordon de CRS pour nous protéger des agresseurs, puis ils nous ont fait monter dans deux fourgons pour nous éloigner et nous ont libérées plus loin».

La militante et la journaliste sont ensuite allées porter plainte contre X au commissariat pour coups et blessures. Caroline Fourest précise qu’elle va faire examiner par un avocat toutes les déclarations de Civitas pour voir s’il y a diffamation.

La plainte contre X pour coups et blessures

Après une plainte pour coups et blessures, qu’on appelle plus officiellement pour «violences volontaires», le commissariat fait un compte rendu téléphonique au procureur de la République, qui déclenche ensuite une enquête.

Le parquet de Paris ouvre alors une enquête préliminaire: les policiers entendent les plaignants, les font examiner par des médecins des unités médico-judiciaires, qui vont déterminer les blessures et les jours d’ITT, ou d’incapacité totale de travail –Inna Shevchenko dit être allée avec Caroline Fourest à l’hôpital pour «des preuves»– et tentent d’identifier les personnes qui auraient commis ces faits.

Du nombre de jours d’ITT déterminé dépend la peine encourue par les agresseurs: de la contravention (entre 0 et 8 jours d’ITT) à 15 ans d’emprisonnement (la mort de la victime) en passant par 3 ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende (plus de 8 jours d’ITT), sachant que ces peines peuvent être aggravées si l’auteur a agi en bande ou avec des armes par exemple.

Les policiers pourront utiliser les photographies et les vidéos prisent pendant la confrontation pour tenter d’identifier les hommes qui ont frappés les militantes et la journaliste.

Si les policiers n’identifient pas les auteurs, la plainte est classée sans suite, mais s’ils y parviennent, les accusés sont convoqués pour être entendus et peuvent par exemple être placés en garde à vue. Si le procureur pense qu’il n’y a pas assez d’éléments, il peut classer la plainte, explique Matthieu Bonduelle, président du Syndicat de la Magistrature.

Civitas

Dans un communiqué publié mardi 20 novembre, l’institut d’extrême droite Civitas a annoncé porter plainte auprès du procureur de la République contre «les membres parfaitement identifiables des FEMEN» pour plusieurs motifs:

1. «Exhibitions sexuelles notamment à la vue d’enfants»

L’article 222-32 du code pénal punit «l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public» d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.

Civitas vise ainsi assurément le mode de manifestation des Femen, qui protestent seins nus (des enfants avaient été amenés par leurs parents à la manifestation). Pendant le dernier Paris Plages, la Préfecture de Paris a rappelé que «toute tenue qui laisserait entrevoir les parties génitales ou la poitrine constitue une exhibition sexuelle», et Matthieu Bonduelle estime en effet que manifester seins nus peut tomber sous le coup de la loi.

Reste que le parquet a l’opportunité des poursuites, c’est-à-dire qu’il n’est pas obligé de poursuivre les militantes pour exhibition sexuelle, explique-t-il, même si les faits sont constitués. La motivation (ici, une manifestation ou un happening) peut alors entrer en compte dans sa décision.

2. «Diffusion de message à caractère violent ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine et susceptibles d’être vus par des mineurs.»

L’article 227-24 du code pénal punit une telle offense de trois ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende lorsque ce message est «susceptible d’être vu ou perçu par un mineur».

Les militantes scandaient un slogan en anglais –«In gay we trust»–, et avaient inscrit sur leurs poitrines des messages en anglais ou en français («Marie marions-nous», «Saint esprit étroit», «Occupe-toi de ton cul»).

C’est là aussi au procureur de décider si ces slogans sont violents ou «de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine».

3. «Violences en réunion et avec armes, y compris contre des enfants»

L’article 222-13 du code pénal prévoit que les violences n’ayant pas entraîné d’ITT ou des ITT de moins de huit jours peuvent être punies de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende si elles sont commises «sur un mineur de quinze ans», «par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice» ou «avec usage ou menace d’une arme».

Les militantes étaient une dizaine et elles ont actionné des petits extincteurs. Civitas affirme qu’un des extincteurs a visé un enfant dans une poussette, s’appuyant sur cette photographie. Si ceux-ci ne sont pas des armes par nature, comme les pistolets par exemple, ils peuvent être considérés comme des armes par destination à partir du moment où ils sont utilisés comme des armes (c’est le cas pour tous les objets, si vous vous servez d’une poubelle pour tabasser quelqu’un, c’est une arme par destination), explique Matthieu Bonduelle.

Quand j’ai traduit les motifs de la plainte à Inna Shevchenko, elle a répondu que les Femen avaient des photos de ce qui s’était passé, ajoutant:

«C’est une blague de dire que 10 femmes nues ont été violentes contre cinquante hommes qui étaient physiquement préparés et qui font ce genre de choses tous les jours.»

Là encore, dans l’esprit du droit, cet argument ne change rien. Mais le procureur (et le cas échéant, au tribunal) peut décider de l’opportunité de poursuivre vu le contexte. Il peut aussi décider de poursuivre tout le monde, les Femen et les agresseurs, personne, ou les uns mais pas les autres.

4. «Entrave concertée à la liberté de manifestation par menaces, violences et voies de fait»

D’après l’article 431-1 du code pénal, «le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de coups, violences, voies de faits» l’exercice de la liberté de manifestation est puni de trois ans d’emprisonnement de 45.000 euros d’amende (un an et 15.000 euros «à l’aide de menaces»).

5. «Injures envers CIVITAS et les manifestants en raison de leur appartenance à la religion catholique ainsi que les messages écrits sur leur poitrine et les aérosols utilisés le démontrent aisément»

L’article 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit que «l’injure commise […] envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée» est passible de six mois de prison et de 22.500 euros d’amende.

Difficile ici de voir à quoi se réfère Civitas. Les messages sur les torses et les extincteurs des militantes de Femen ne peuvent probablement pas être considérés comme des insultes, étant donné qu’ils ne visent pas directement les manifestants ou Civitas. Ecrire «Fuck Dieu», ce n’est pas pareil que d’écrire «Connards de manifestants».

Matthieu Bonduelle retrouve dans cette partie de la plainte un schéma récurrent:

«Une offensive de la part de l’extrême droite qui consiste à retourner contre les militants anti-discrimination les outils pour lutter contre les discriminations. C’est une tendance assez préoccupante parce que ces outils ont été créés pour défendre des minorités, des personnes réellement mises en cause dans leurs orientations –notamment religieuses– et sont instrumentalisés par des gens de l’extrême droite qui ne sont eux-mêmes pas avares de discriminations.»

Quant à Caroline Fourest, elle estime que «les Femen seront même en France attaquées pour blasphème, comme en Russie ou en Ukraine», et ajoute:

«J’ai porté plainte moi aussi, et ils n’ont pas offensé mes sentiments religieux, ils ont offensé ma liberté de la presse et ils ont massacré mon intégrité physique, c’est un peu plus douloureux que leur intégrité religieuse.»

Cécile Dehesdin

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Via: slate.fr


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