(AFP PHOTO / FRED DUFOUR)
L'image est une illustration de l'instant décisif cher au photographe Henri Cartier-Bresson. Elle montre le coup de pied donné par un homme à une membre des Femen, lors d'une action du groupe féministe devant la Grande Mosquée de Paris, le 3 avril. La position spectaculaire de l'assaillant, le poing levé de la jeune femme et le contexte brûlant de l'événement constituent les ingrédients d'une photo choc, qui s'est propagée les jours suivants dans la presse européenne et sur les réseaux sociaux. Focus.
Que s'est-il passé ?
Selon le récit fait au "Nouvel Observateur" par Fred Dufour, l'auteur du cliché, il est environ 15h30 lorsque les trois Femen surgissent d'une voiture et se précipitent devant l'entrée de la Grande Mosquée, dans le 5e arrondissement de Paris.
Les photographes, prévenus au préalable, sont déjà sur place. Objectifs annoncés par les jeunes femmes : soutenir Amina, la "première Femen tunisienne", actuellement séquestrée par sa famille pour avoir dévoilé sa poitrine sur Facebook ; et, plus généralement, dénoncer l'extrémisme islamique – quoique cette mosquée ne soit pas soupçonnable de collusion avec les salafistes, comme le reconnaîtra la journaliste Caroline Fourest, sympathisante du groupe féministe.
(AFP PHOTO / FRED DUFOUR)
Fidèles au mode opératoire du mouvement féministe fondé en Ukraine, les trois militantes – deux Françaises et une Tunisienne – mènent leur action seins nus. Sur leurs torses, les slogans en anglais ne s'encombrent pas de fioriture : "Les femmes arabes contre les islamistes", "Liberté pour les femmes", "Merde à vos morales". Et les Femen ne sont pas venues les mains vides : elles brandissent un drapeau noir présenté comme étant celui des salafistes et barré de la chahada, la profession de foi des musulmans.
En un instant, les manifestantes topless aspergent cet étendard artisanal d'alcool à brûler. Sortis de leur bâtiment, deux agents de la mosquée tentent d'interrompre l'action, en vain. Le drapeau s'embrase.
(AFP PHOTO / FRED DUFOUR)
Et les esprits s'échauffent. Les jeunes femmes "prennent des coups mais ne répliquent pas, si ce n'est avec des doigts d'honneur", relate Fred Dufour. Dans la confusion, ce dernier saisit le coup de pied donné à une Femen qui prend la pose pour les photographes. "Le geste ne semble pas d'une grande violence", juge le photojournaliste, qui a eu "le temps de voir le mouvement arriver dans [son] viseur" avant de déclencher en rafale.
Les féministes sont également la cible d'un jet de bouteille en plastique vide et d'un cageot ramassé par terre – propriété d'une SDF s'étant prudemment éloignée du lieu de l'action.
(AFP PHOTO / FRED DUFOUR)
(Christophe Ena/AP/SIPA)
Puis les Femen disparaissent, quittant les lieux dans la voiture avec laquelle elles sont arrivées. "Tout s'est déroulé en deux minutes", constatera Fred Dufour après avoir consulté les informations contenues dans ses fichiers photo. Deux minutes pendant lesquelles les jeunes femmes n'ont pas dit un mot : "C'était une opération totalement silencieuse."
A noter que ce n'est pas une première fois que le célèbre groupe féministe s'attaque à un lieu de culte en France. En février dernier, une escouade des Femen avait envahi la nef de Notre-Dame de Paris pour célébrer le renoncement du pape Benoît XVI. "Nous sommes allées trop loin ? Mais qu'attendez-vous des Femen ? Nous irons plus loin encore !" avaient averti quelques semaines plus tard les militantes aux seins nus.
La photo censurée par... Facebook
De cette série d'images réalisée devant la Grande Mosquée de Paris, la photo du coup de pied prise par Fred Dufour attire l'attention des iconographes au delà des frontières hexagonales : au surlendemain de l'événement, le photographe de l'AFP a déjà expliqué le contexte de prise de vue à des publications allemande, belge et espagnole.
L'étonnante composition de cette image prise sur le vif, mais à la qualité digne d'une mise en scène, suscite également des commentaires interprétatifs. Dans son billet sur l'événement, le blog Big Browser du "Monde" décrit le cliché sous un angle symbolique :
Cette photographie de l'Agence France-presse illustre le choc entre un monde ancien – symbolisé à la fois par le panneau institutionnel "Histoire de Paris" et le coup de pied d'un homme à une militante Femen ancrée dans son XXIe siècle, seins nus mais visage voilé, arborant sur son buste un slogan renvoyant le vieux monde à sa naphtaline."
L'AFP a par ailleurs publié l'image sur son compte Facebook, laquelle a généré une centaine de commentaires et quelque 400 partages... avant d'être supprimée par le réseau social, pour cause de nudité non réglementaire. Ou comment un "débat enfiévré entre deux visions morales tourne court en raison de l’irruption d’une troisième, américaine et puritaine cette fois", conclut le journaliste Roland de Courson sur le blog Making-of de l'agence.
Cyril Bonnet - Le Nouvel Observateur
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