Trois femmes du groupe des "Femen" manifestent nues à Hambourg, le 10 juin 2012 (WAGNER/DDP IMAGES)
Si le slogan "sortez couvert" a fait florès ces dernières années, "foutez-vous à poil" pourrait bien le remplacer dans un futur proche.
Daphné Bürki nue dans les couloirs de Canal + (mais floutée) pour lancer "le Grand Journal", des milliers d’inconnus saluant le Prince Harry dans le plus simple appareil sur Facebook, Lady Gaga qui se vante d’avoir enregistré son dernier disque dans la tenue d’Eve… Chaque semaine nous apporte son lot de chair plus ou moins fraîche.
Cette mise à nue n’est sans doute pas un phénomène vraiment nouveau. Les plus anciens se souviennent des années 60, où les femmes ont commencé à enlever leur soutien gorge sur les plages, des années 70, où les féministes se sont dénudées pour revendiquer la liberté de leur corps et, les plus jeunes, de ces multiples attentats à la pudeur perpétrés par des hommes traversant nus la pelouse d’un stade ou par des femmes se déshabillant en pleine rue.
Le corps nu : de l'interdit...
Alors qu’est-ce qui a changé ou est en train de changer actuellement dans l’exhibition des corps ?
Jusque dans les années 70-80, l’exposition des corps nus se faisait dans des lieux spécialisés. Pour en voir, il fallait acheter des magazines de charme ou aller voir des films classés X. Le nu était essentiellement féminin. Le tirage des journaux comme "Lui" ou "Playboy" dépendait, pour une grande part, de la notoriété de la femme qu’ils déshabillaient : contempler le corps d’Ursula Andress, de Sydney Rome ou de Jane Manson étaient une motivation suffisante pour acheter ces magazines.
D’où venait cette attirance du lecteur ? Essentiellement de la conviction de franchir une sorte d’interdit, entrer dans l’espace privé d’une star ou d’une idole. Plus celle-ci avait protégé cet espace en refusant auparavant de se déshabiller, plus la conviction de briser une sorte de tabou, d’enfreindre le sacré était grande.
...à la démocratisation
À la fin de ces décennies, "Lui" rencontra quelques difficultés. Les vedettes commencèrent à poser pour "Paris Match" ou d’autres hebdomadaires "grand public" et l’on y vit des photos qui, jadis, ne pouvaient paraître que dans une presse lue en cachette. Les récents clichés de Laurie Thilleman parus dans "Match" sont typiques de cette banalisation du nu par les médias, qui n’a fait que s’accentuer avec le développement d’internet.
Avec internet et les appareils de photo numériques, un autre changement s’est opéré : ce qu’on pourrait appeler la démocratisation du nu. En 1996, une jeune Américaine, Jenni, tourne une webcam sur elle et envoie au monde entier, tous les vingt minutes, une image d’elle, parfois devant son ordinateur, parfois nue sur son lit, seule ou accompagnée.
Avec la possibilité pour chacun de se photographier dans toutes les circonstances et toutes les positions sans passer par la médiation d’un laboratoire tirant les clichés, ce qui était exceptionnel à la fin des années 90 devient monnaie courante. La dimension sacrée de la mise à nu des idoles perd du terrain au profit de sa banalisation.
Au moment où la télé-réalité donne à l’anonyme (du moins c’est sa promesse) la possibilité de passer à la télé, internet assouvit sa pulsion exhibitionniste en lui faisant croire que son corps est aussi digne que celui des stars d’être reluqué par tous.
La valeur contestataire du nu, de Woodstock aux Femen
Livrer son image aux autres dans un lieu clos est certes un acte qui peut satisfaire l’exhibitionnisme, mais il ne rompt pas vraiment avec la tradition de l’histoire de la photographie, qui a très longtemps cantonné le nu dans des lieux privés, en sorte que la femme photographiée dévoilait son "intimité", métonymie pudique pour dire qu’elle posait nue.
Tout déshabillage en extérieur, sous le possible regard des autres, a donc très vite pris une valeur contestataire, que l’on s’en prenne à l’ordre établi comme les "hippies" de Woodstock ou à la morale bourgeoise comme les féministes. Cette signification n’a pas disparue et on la retrouve chaque fois qu’un groupe veut lutter contre un pouvoir qui restreint la liberté de l’individu, qu’il s’agisse des Femen, ces Ukrainiennes, qui font des happening torse nu pour revendiquer plus de démocratie ou, récemment, des jeunes Québécoises, qui s’opposaient au gouvernement sur l’augmentation des droits étudiants.
De la provocation au naturisme
Si cette nudité protestataire n’a de sens que si elle envahit l’espace public, un autre de ses caractères est d’être collective. Ce n’est plus un acte isolé, mais un acte politique qui n’a de sens que s’il fait masse. Comme tout phénomène transgressif, ce nu collectif a été récupéré par les médias et on a vu fleurir un peu partout des mises en scène photographiées de foules déshabillées, prêtes à entrer dans le "Livre des records".
Du même coup, la provocation a cédé la place à une sorte de nudisme plus proche du naturisme que de la remise en cause d’un tabou. Se mettre nu est devenu un jeu, qui n’a plus grand chose à voir avec l’érotisme. En témoigne la récente création sur Facebook "Support Prince Harry with a naked salute" !
Le Prince Harry en couverture de "The Sun"
À la suite du cliché du Prince, pris à Las Vegas, au cours d’une partie de Strip-billard, les internautes s’y dénudent dans une attitude de salut. Le groupe a, à ce jour, 34.792 membres. Les photos arrivent de tous les coins du monde, les uns posent dans leur appartement, leur chambre, d’autres devant un tank ou avec une arme à la main, sans aucun souci du cadrage, souvent avec un drapeau anglais à hauteur du sexe ou de la poitrine, parfois un chapeau, un casque, etc.
Deux choses frappent : d’une part, le fait que les hommes y sont en nombre égal aux femmes, d’autre part que toute connotation érotique a disparu.
Quand l'homme se dénude à son tour
Cette masculinisation de la nudité est peut-être ce qui est le plus nouveau. Depuis "The Full Monty", dans lequel des chômeurs décident pour s’en sortir de faire un spectacle de strip-tease, récemment repris au théâtre, les hommes s’exhibent régulièrement pour une cause ou une autre.
Un dernier point particulièrement remarquable de ces mises à nu : elles ont besoin d’alibi.
Lorsqu’une star posait pour "Lui", il était clair qu’elle le faisait pour satisfaire son exhibitionnisme et le voyeurisme du lecteur. Aujourd’hui, on se déshabille dans un but précis : sauver son entreprise, protester contre une loi, des licenciements, trouver de l’argent pour aller aux Jeux olympiques, etc., et l’on nie qu’elle répond aussi à une pulsion exhibitionniste.
Parmi ce foisonnement de "bonnes" raisons de se déshabiller, il y en a une qui m’a particulièrement plus, celle de Lady Gaga, qui a enregistré son dernier album totalement nue dénudée : "Elle pense que sa voix sonne mieux ainsi", a-t-elle confié à un proche.
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Via: leplus.nouvelobs.com
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