FEMEN - Leur année s'achève comme elle avait débuté, par un coup d'éclat. Vendredi 20 décembre, une militante française du mouvement Femen s'est dénudée dans l'église de la Madeleine pour protester contre la condamnation de l'avortement par l'Église catholique. Depuis leur installation à Paris en septembre 2012 après avoir fermé leur bureau de Kyiv sous la pression des autorités, les militantes du mouvement féministe ukrainien multiplient les actions provocatrices.
Manifestation seins nus sur la Seine en soutien à Greenpeace, drapeau salafiste brûlé devant la Grande Mosquée de Paris, mime d'un suicide devant la cathédrale Notre-Dame de Paris, ou déguisement en nonne pour soutenir le mariage gay... une liste non-exhaustive des "happening" menés avec constance et opiniâtreté par les Femen mais qui ont valu aux médiatiques "sextrémistes" d'être poursuivies en justice.
Pour les Femen, l'année 2013 aura été riche en polémique, ou plutôt n'aura été "que" polémiques, parfois au risque de l'essoufflement et de la dispersion. La polémique, le blasphème, c'est l'essence même de leur méthode. Et pendant que les militantes du mouvement multipliaient les "opérations extérieures" provocantes et remarquées, les mauvaises nouvelles s'accumulaient: incendie dans leurs locaux parisiens, accusations d'islamophobie, révélations sur le rôle joué par un homme au profil trouble dans l'éclosion du mouvement, départ fracassant de la militante tunisienne Amina...
De la place Saint-Pierre du Vatican en passant par la Tunisie et le Forum économique mondial de Davos, les Femen ont également à plusieurs reprises franchi les frontières françaises pour faire entendre leur voix. "Cette année, après Femen France, nous avons ouvert 10 nouvelles branches en Europe, au Canada, et nous travaillons avec des Mexicaines ici à Paris pour en ouvrir une là-bas", indiquait en septembre dernier à Paris Match Inna Shevchenko, l'une des fondatrices et chefs de file du mouvement. Elle estime à "environ 300" le nombre d'activistes des Femen dans le monde.
Un mode d'action affirmé
Vendredi, après l'action menée dans l'église de la Madeleine, de nombreux internautes sur les réseaux sociaux et quelques responsables religieux ou politiques se sont indignés, certains -comme Nathalie Kosciusko-Morizet- dénonçant une provocation inutile, d'autres demandant la dissolution du mouvement au nom du respect des lieux de culte.
"On peut trouver ce mode d'action infantile ou narcissique mais on ne peut pas nier qu'il s'agit d'un des mouvements d'Agitprop les plus excitants de ces dernières années", estime l'essayiste et journaliste Caroline Fourest, contactée par Le HuffPost. Auteure de plusieurs billets sur le mouvement Femen pour Le HuffPost, Caroline Fourest publiera Inna le 22 janvier prochain, un portrait d'Inna Shevchenko. Selon elle, les jeunes femmes ont réussi "avec quelques pinceaux et quelques seins" à pointer du doigt de graves atteintes aux libertés fondamentales.
"Un mode d'action ne remplace pas les autres mouvements féministes de proposition et de déconstruction intellectuelle. Il faut que chacun fasse sa part du boulot, tempère toutefois l'essayiste. Elles ne vivent que pour ça et ont développé un mode de vie entièrement dédié à leur activisme. Elles vivent dans des conditions très spartiates. C'est d'un romantisme absolu mais cela peut être parfois très dur".
Conjugué aux conflits internes au mouvement et aux caractères tempétueux de ses membres, ce mode de vie incompris seraient ainsi à l'origine des nombreux fantasmes que suscitent les Femen.
Un mouvement antireligieux
Davantage qu'un mouvement féministe, Femen est avant tout un mouvement antireligieux. "C'est quelque chose dont on a complètement perdu l'habitude, indique Caroline Fourest".
Là où les défenseurs de la laïcité affrontent les intégristes de tout poil, les Femen auraient ainsi réussi à déplacer le curseur. "En Tunisie, leurs actions ont permis aux laïcs qui affrontent les salafistes de passer pour des modérés en comparaison des Femen. Je ne connais pas d'organisations qui peuvent se vanter de telles victoires. C'est évidemment plus fort, plus pertinent et plus courageux, quand Inna scie une croix en Ukraine, dans un pays gangrené par l'alliance entre l'Église et un régime autoritaire, où quand les Femen mènent des actions en Tunisie ou en Biélorussie, que quand elles agissent en France."
Dans un pays laïc où la liberté de culte est garantie, l'antireligion n'a que peu droit de cité et divise au sein même de la galaxie des féminismes. "S'attaquer aux religions et à leurs lieux de culte, c'est s'attaquer à la sphère spirituelle privée des individus (...). [La laïcité] veille simplement à ce que la sphère publique soit neutre. L'action menée par les Femen nous renvoie donc à une idéologie fasciste, primaire, et violente", écrivait en février dernier sur Le HuffPost Lydia Guirous, présidente de l'association "Future, au Féminin".
Un mouvement de contestation, pas de proposition
C'est peut-être le principal écueil des Femen. Au-delà de l’irritation qu'elles suscitent chez les religieux de tous bords, les jeunes femmes semblent déboussoler le grand public en dénonçant pêle-mêle les dictatures, les autorités religieuses et la prostitution. Un rôle de lanceur d'alertes que n'accompagnent pas les propositions concrètes à même de justifier ou légitimer leurs actions spectaculaires.
"Leur image peut parfois être confuse, brouillonne et compliquée, mais c'est à l'image de ce mode d'action qui a plus dénoncé que n'importe quel autre ces dernières années. La seule proposition qu'elles ont vraiment formulée, c'était de pénaliser les clients des prostituées en Ukraine", rappelle Caroline Fourest. Une loi que le pays d'origine du mouvement n'a pas adoptée mais que ses membres ont soutenue en France jusqu'à son vote à l'Assemblée le 4 décembre dernier.
Mais sans les Femen, interroge la journaliste, "est-ce que vous auriez compris que le droit à l'avortement est menacé en Espagne ? Est-ce vous auriez compris que les prisonniers politiques sont de retour en Tunisie ? Qu'il y avait des groupes fachistes et violents qui défilaient contre le mariage pour tous ? Que la mafia gouverne à l'Est avec le soutien de l'Eglise et au détriment du droit des femmes ?"
Une révolution iconographique
Seins nus, couronnes de fleurs, slogans peints sur le corps, le marketing du mouvement est bien rôdé, parfois méprisé, parfois admiré, parfois copié. Les Femen ne seraient-elles donc que des Bonnets rouges aux seins nus ou des Pigeons coiffés de nattes? "Caricatures, provocations, blasphème, intolérance, elles utilisent les bonnes vieilles recettes fascistes pour faire le buzz", estimait ainsi Lydia Guirous.
"Femen est un mouvement qu'on ne comprend absolument pas si on ne fait que regarder des photos, met en garde Caroline Fourest. Au pire, ces clichés alimenteront les agences photos avec des images où -pour une fois- les femmes nues sont actives et agressives et non dans des poses lascives et montrées en objets sexuels. En soit c'est déjà énorme."
Au-delà des images virales sur le net, l'essayiste estime que "la figure et le corps d'Inna Shevchenko sont en train de remplacer l'imaginaire féministe auprès de toute une jeune génération."
Et après ?
Un nouveau pape dont on loue la modernité, des actions de plus en plus décriées. Il reste difficile de prévoir le futur du mouvement.
"Elles peuvent décider de changer de méthode, elles l'ont déjà fait par le passé, indique Caroline Fourest. Mais elles peuvent aussi à tout moment tuer leur mouvement en faisant un vrai-faux pas. Peut-être que demain elles se rhabilleront. Peut-être que certaines passeront le relais en vieillissant. Les fondatrices ont pour la plupart fui l'Ukraine et sont à Paris. Cela modifie forcément leur regard sur le monde."
L'année 2014 commencera pour les Femen par leur premier procès. En février 2014, neuf d'entre elles comparaîtront devant le tribunal correctionnel de Paris pour des dégradations sur une cloche de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris.
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