Xenia et ses deux amies (pas les mêmes que celles rencontrées pour mon reportage en juin dernier) ont interrompu la période des questions en Chambre pour protester contre le maintien du crucifix à l'Assemblée nationale prévu par la Charte des valeurs québécoises.
Avec leurs seins nus en guise d'arme et d'étendard, les filles ont causé toute une commotion.
Était-ce la meilleure façon d'avancer des idées et de défendre une cause? Je l'ignore. Chose certaine, Xenia et ses amies ont mis le doigt sur une question qui fait autant problème que l'interdiction du port du voile, mais que personne n'ose évoquer trop fort publiquement. Ce crucifix qui domine l'Assemblée nationale et qu'on ne veut pas déplacer pour des raisons soi-disant patrimoniales est en effet la grande contradiction de la Charte. C'est aussi le symbole même d'une injustice parfaitement indéfendable.
En effet, comment peut-on prôner la neutralité de l'État et promouvoir la laïcité comme valeur cardinale de la société québécoise en gardant ce symbole d'assujettissement à l'Église au coeur du théâtre de la vie parlementaire québécoise?
Je connais bien des gens qui approuvent le projet de Charte du gouvernement, et j'en suis. Mais tous, sans exception, sont en profond désaccord avec le maintien du crucifix à l'Assemblée nationale, et d'autant plus qu'il y a été placé par Maurice Duplessis en 1936 dans l'unique but de consolider l'union entre l'Église et l'État.
Alors on peut bien critiquer les manières échevelées et l'exhibitionnisme débridé de ces trois jeunes femmes en calvaire contre le crucifix. Mais dans le contexte actuel, c'est difficile de ne pas leur donner raison aussi.
La Belle au voile dormant
Comme plus d'un million de Québécois dimanche, je suis tombée sous le charme de Dalila Awada, cette jeune étudiante en sociologie, musulmane et voilée, invitée sur le plateau de Tout le monde en parle. On a beau être contre le voile islamique, impossible de ne pas être séduit par sa voix douce et pondérée, par son propos structuré et par son aplomb, sans parler de ses beaux yeux noirs impeccablement maquillés, ses longs cils de sirène moyen-orientale et son joli voile fleuri dans les tons tendance de la saison.
Dimanche soir, si le public avait été invité à voter à l'issue du débat entre Dalila et Djemila Benhabib, une farouche opposante au voile islamique, c'est évident que Dalila l'aurait emporté haut la main. Pas tant à cause de ses idées que de sa manière calme et posée de les énoncer, une manière qui contrastait presque douloureusement avec le ton crispé et hostile de Djemila.
N'empêche. Comme je suis méfiante de nature, j'ai pensé un instant que Dalila était instrumentalisée par un groupe islamiste quelconque. Vérifications faites auprès d'elle et d'autres sources, cela ne semble pas être le cas. À part être membre de Québec solidaire et avoir siégé au comité de coordination du parti dans Bourassa-Sauvé, elle semble plus intéressée par les cosmétiques (elle en vend d'ailleurs chez Jean Coutu pour payer ses études) que par la politique.
Il n'en demeure pas moins que, consciemment ou non, Dalila est devenue une redoutable arme de persuasion pour les opposants à la Charte. D'abord, elle est sur toutes les tribunes. Depuis un mois et demi, dès qu'il est question de débattre du voile, on l'invite. On l'a vue et entendue à Deux filles le matin, chez Anne-Marie Dussault, au micro d'Isabelle Maréchal et finalement à Tout le monde en parle. Ses opposantes, nombreuses et interchangeables, diffèrent au gré des émissions, alors que Dalila, elle, est toujours là: irremplaçable.
Un publicitaire aurait voulu imaginer une campagne en faveur du port du voile qu'il n'aurait pas pu mieux trouver que Dalila comme pub ambulante. Elle est au voile ce que Gabriel Nadeau-Dubois fut aux carrés rouges: un porte-voix sur lequel les médias se sont rués avec empressement.
Pourtant, hier, en lui parlant longuement au téléphone, elle ne m'a pas convaincue que le port du voile était une bonne et nécessaire affaire. J'ai senti, chez elle, un besoin d'affirmation identitaire calqué sur l'affirmation identitaire québécoise mais colorée par la culture musulmane. J'ai entendu dans ses arguments sur la pudeur vestimentaire et la nécessité de s'assumer publiquement avec son voile des relents du discours de Tariq Ramadan, bien qu'elle s'en défende.
Je ne sais pas si Dalila dort avec son voile. Je sais seulement que son charme, sa fraîcheur et ses habiletés médiatiques sont une façon d'endormir les critiques légitimes à l'égard du voile. Je m'inquiète pour le réveil.
Via: lapresse.ca
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