Coiffées de bonnets phrygiens, drapées de blanc ou arborant les sweat-shirts désormais célèbres de la Manif pour tous, les femmes étaient déjà bien présentes, en 2013, aux nombreux défilés contre le projet de loi Taubira ouvrant le mariage aux personnes de même sexe. Depuis, cette loi a été votée par le parlement, puis promulguée au Journal officiel. Mais ses détracteurs n'ont pas totalement désarmé. Leur mouvement a entraîné la naissance de collectifs d'opposition exclusivement féminins aux contours parfois flous.
Antigones, Caryatides, Marianne pour tous, Porteuses ou NAVNAL (Ni à vendre, ni à louer). Ces groupuscules se sont tous formés il y a quelques mois, un an tout au plus. Initiés par des femmes, souvent très jeunes, ils rejettent, entre autres, le mariage pour tous et le féminisme "sextremiste" des Femen. Certains revendiquent leurs penchants nationalistes et identitaires, à l'instar des Caryatides. Lancée à Lyon en mai 2013, cette "section féminine" est proche de l'Oeuvre française, un mouvement d'extrême droite dissout en juillet dernier. Ses membres, présentes au Jour de colère et hostiles à l'IVG (interruption volontaire de grossesse), entendent "militer en toute féminité". Leur nom a pour ainsi dire valeur de programme: dans l'architecture antique, les Caryatides étaient ces statues féminines qui faisaient office de piliers, à l'instar de la femme au sein de la famille, valeur fondamentale aux yeux de ces militantes.
Des groupuscules aux méthodes modernes
Le webmagazine Belle et Rebelle développe une stratégie différente - orientée sur Internet - mais prône tout de même, depuis près de trois ans, "un féminisme identitaire pour les femmes normales". La rédactrice en chef, Louise Demory, ne cache pas son affiliation à Génération identitaire, la branche "jeunesse" du Bloc identitaire, mouvement politique de droite radicale. Elle en est l'ancienne porte-parole. A chaque occasion, le groupuscule relaie d'ailleurs largement les publications de Belle et Rebelle.
Reste à savoir s'il y a là une réelle féminisation de la droite radicale ou une impulsion spontanée, donc passagère. "Il y a bien un regain d'engagement féminin, par exemple au sein du Bloc identitaire, alimenté notamment par un ras-le-bol de la drague inélégante", estime l'historien Stéphane François, spécialiste des droites radicales.
Pour le politologue Jean-Yves Camus, autre connaisseur de l'ultra-droite, on ne peut pas parler de "féminisation" au sens strict. Il reconnaît toutefois une évolution dans les méthodes employées: "En Italie, à la fin des années 1970, il y avait des groupes féminins qui se réclamaient d'une vision non féministe et moderne. En France, ça n'avait pas pris en raison du poids des catholiques traditionalistes. A partir de l'année dernière, on a assisté à l'émergence de mouvements liés au monde identitaire, modernes dans leurs moyens, avec l'usage professionnel d'Internet".
De fait, les rubriques proposées par Belle et Rebelle ont tout d'un magazine féminin: "beauté-mode" ou "dans la tête des hommes". La page Facebook de la publication affiche quelques 2 578 "J'aime". Les personnalités interviewées laissent quant à elles peu de place au doute: Christine Tasin, qui se présente sur son blog comme une "militante républicaine et laïque", est la créatrice et présidente de "Résistance Républicaine", une association clairement nationaliste, et "vouée à lutter contre l'islamisation" de la France. Cette ancienne professeur de lettres classiques co-préside Riposte laïque, une publication en ligne qui se défend d'être d'extrême droite, mais qui a pourtant été à l'origine du fameux "apéro saucisson-pinard" organisé en 2010 dans le XVIIIe arrondissement de Paris.
Autre exemple: dans une vidéo diffusée par Belle et Rebelle, une jeune marcheuse revient sur son "tour d'Europe à pieds" effectué avec une amie. Or, cette sportive accomplie n'est autre que Mathilde Gibelin, ex-membre de l'organisation de scoutisme Europe Jeunesse proche du GRECE (Créé en 1969, le Groupement de recherches et d'études pour la civilisation européenne a développé une idéologie d'ultra-droite racialiste et néo-païenne). La même Mathilde Gibelin écrit occasionnellement pour le site Boulevard Voltaire, cofondé par l'ancien journaliste Robert Ménard, candidat aux élections municipales à Béziers (Hérault), soutenu par le Front National. Enfin, sur le site de Belle et Rebelle, elle apparaît dans une publication beaucoup plus récente: la vidéo "fondatrice" d'un autre collectif, les Antigones.
Les Antigones, un groupuscule "féminin" aux contours flous
Ce mouvement, lancé en mai 2013 par une poignée de femmes de 23 à 25 ans, s'est d'abord érigé contre les Femen, ces féministes "sextremistes" aux actions coup de poing. Les Antigones souhaitent maintenant se pérenniser, sous forme d'association. Trois antennes ont été ouvertes à Marseille, Lyon et Toulouse. Selon elles, cinq cent femmes de tous âges les auraient d'ores et déjà sollicitées. "Féminin mais surtout pas féministe", comme l'annonce son site, ce mouvement prône "la complémentarité de l'homme et de la femme" et condamne la théorie du genre.
"On veut maintenir une continuité avec le passé pour pouvoir renouveler le rôle de la femme, précise Isabelle, une des fondatrices. Il faut se réconcilier avec sa propre histoire." Vêtues de robes blanches légères, les Antigones se définissent dans un cadre "filial". "Filles de nos pères, épouses de nos maris, mères de nos fils, nous ne rejetons pas les hommes" peut-on lire sur leur site. D'ailleurs, si ces derniers sont les "bienvenus" aux réunions, ils ne pourront a priori pas adhérer à l'association, au mieux décrocher une carte de sympathisant.
Les Antigones se disent "sans subordination partisane ou confessionnelle". Dès lors, pourquoi sont-elles essentiellement relayées par des sites nationalistes ou identitaires? "Je n'avais pas vu que ce genre de publications nous évoquaient, rétorque Isabelle. On n'a pas à s'en excuser. On a rien à cacher de plus que ce qui est dit sur notre site." Il y a quelques jours, la jeune femme accordait pourtant une interview à Tv Libertés, chaîne "pour la défense et la promotion de la culture et de l'esprit français au coeur des nations européennes" lancée début 2014. Signalons enfin qu'au moins une autre Antigone était présente, en mai dernier, au rassemblement d'extrême-droite organisé chaque année à Paris en hommage à Jeanne d'Arc. A ses côtés, reconnaissable malgré de larges lunettes de soleil: Mathilde Gibelin, la "marcheuse". D'après l'historien Stéphane François, beaucoup de ces femmes "sont passées ou sont encore au Bloc identitaire, à l'Action Française, mouvement nationaliste anti-républicain, ou à l'Agrif (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne)".
Le mariage pour tous, initiateur d'un militantisme féminin plus prégnant
Comment expliquer cette poussée ultra conservatrice, à l'heure où la société devient plus permissive? D'après Isabelle, les membres des Antigones "se sont toujours senties concernées par les questions de société et politiques mais n'avaient jamais vraiment trouvé de collectif approprié pour s'exprimer". Le débat autour du mariage pour tous a vu l'émergence de nombreux thèmes de société chers aux femmes: famille, GPA (gestation pour autrui), PMA (procréation médicalement assistée)... Autant de sujets propices à la montée d'une contestation essentiellement féminine. D'après Jean-Yves Camus, "les mouvements féminins se forment plutôt autour de sujets sociétaux".
Le secrétaire général des étudiants de l'Action Française, Antoine Desonay, confirme le phénomène, et la hausse des adhésions féminines. "Depuis 2012 on a commencé à avoir une féminisation assez importante, assure-t-il. Ca s'est accéléré depuis la Manif pour tous. Etrangement, ce sont les filles qui militent et poussent leur copain à agir. Elles font généralement de meilleures études qu'eux. Et ont tendance à les calmer."
Militante à l'Action Française depuis deux ans et demi, Blanche, 21 ans, approuve. "Les filles peuvent apporter une forme plus calme de militantisme, assure-t-elle. Que ça se fasse maintenant ne m'étonne pas. On nie la femme et on veut la transformer en homme." L'historien Stéphane François préfère retourner le constat: "Elles en ont marre de la féminisation des hommes et veulent rester femmes jusqu'au bout."
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