Ambiance plombée à Kyiv. A trois semaines du coup d’envoi du championnat d’Europe de football, co-organisé par l’Ukraine et la Pologne, les nuages s’accumulent au-dessus des autorités ukrainiennes. Après les opérations coup de poing des Femen, ces activistes dénudées qui fustigent la prostitution et la corruption, puis les attentats de Dnipropetrovsk, voilà désormais que les dirigeants européens brandissent la menace d’un boycott politique de la compétition. Leur objectif : dénoncer le traitement réservé à l’ancienne Premier ministre Ioulia Timochenko, condamnée à 7 ans de prison pour abus de pouvoir, et désormais hospitalisée (sous haute surveillance) pour de graves problèmes de santé.
L’affaire est prise très au sérieux par le gouvernement de Viktor Ianoukovitch. L’Euro de foot est la première compétition majeure que l’Ukraine organise et doit être une vitrine pour le pays. En juin, près d’un milliard de téléspectateurs seront devant leurs écrans pour suivre les exploits des Ronaldo, Benzema, Rooney co... Des investissements colossaux ont déjà été réalisés, et on attend plus d’un million de visiteurs dans les deux pays organisateurs jusqu’au 1er juillet, date de la finale à Kyiv. Autant dire que l’irruption du cas Timochenko dans le débat public est une bien mauvaise pub... Reste à savoir ce que l’expression «boycott politique» signifie réellement, et ce qu’elle pourrait impliquer. Éclairage.
Qui s’est prononcé pour un boycott ?
L’ensemble des commissaires européens, à commencer par leur président José Manuel Barroso, ont déjà annoncé qu’ils ne se rendraient pas en Ukraine. Une position partagée par la chef de la diplomatie européenne, la Britannique Catherine Ashton, et par le président de l’UE, Herman Von Rompuy. «C’est assez nouveau car depuis 15 ans, les hommes politiques ont pris l’habitude de peupler les tribunes à des fins de communication, note l’historien Paul Dietschy. Néanmoins, que Mr Barroso soit présent ou non ne changera pas la donne. Pour aller au-delà de l'épiphénomène, il faudrait qu’un président se prononce contre la venue de son équipe nationale.»
Si certains dirigeants européens comme Angela Merkel ont menacé de ne pas se déplacer si rien ne change en Ukraine, aucun n’est allé jusqu'à demander un boycott sportif. Dans l’histoire du foot, les cas sont extrêmement rares. Tout juste peut-on citer l’exemple de 1973, lorsque la sélection soviétique refusa de disputer un match de barrage contre le Chili de Pinochet. Même en 1978, lors de la Coupe du monde en Argentine, l’ensemble des partis politiques français, du RPR au PCF, se prononcèrent pour le déplacement des Bleus. L’argument était simple : l'équipe de France n’ayant pas participé à une Coupe du monde depuis 1966, il n'était pas question de la priver de l'édition 1978, que celle-ci soit instrumentalisée ou non par la junte militaire du général Videla.
Jorge Videla célèbre un but de l'équipe d'Argentine en 1978 (Photo Reuters).
Dans l’histoire de l’olympisme, en revanche, les cas de boycott sont plus fréquents. Les plus célèbres sont ceux des Jeux de Moscou, en 1980, et de Los Angeles, en 1984. A chaque fois, l’argument des droits de l’homme fut invoqué. «Le boycott des Jeux de Moscou avait été prémédité par la diplomatie américaine avant l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques, éclaire l'historien Patrick Clastres. Les Américains avaient saisi que la médiatisation des JO était telle qu’un boycott aurait une tribune exceptionnelle. Cela avait d’ailleurs fort bien marché à l'époque.»
Le contexte est aujourd’hui différent. «Les Etats n’ont plus le prétexte de la Guerre froide pour faire pression sur leurs associations sportives, remarque Patrick Clastres. Du coup, c’est désormais la commission européenne qui occupe cet espace». L’historien y voit même «une tentative d’afficher l’existence d’une diplomatie européenne».
Un boycott des délégations sportives est-il possible ?
Il est hautement improbable. En France, le président de la fédération Noël Le Graët a jugé que son institution «n’a pas vocation à boycotter. Notre patron, c’est le ministre des Sports et l'État. On attendra donc la position de l'État sur ce dossier». Pour l’instant, les autorités françaises n’ont pas pris position. Si elles refusaient que les joueurs de Laurent Blanc participent à l’Euro, elles se mettraient en porte-à-faux avec les instances du foot. Les statuts de la Fifa, la fédération internationale, spécifient en effet que toute ingérence politique est interdite, sous peine de sanctions.
En cas de pression avérée, la sélection française pourrait donc être exclue des prochaines compétitions internationales. Enfin, en principe... «Je pense que la fédération internationale serait bien embêtée si des nations majeures étaient privées du Mondial 2014, ne serait-ce que pour des questions de retombées économiques et médiatiques», juge Patrick Clastres.
Les fédérations sportives peuvent-elles se mêler de politique ?
Le débat de fond subsiste. «On demande toujours aux sportifs de se positionner sur des questions politiques, mais on n’interroge jamais les entreprises françaises sur les investissements qu’elles font dans certains pays, remarque Paul Dietschy. Le sport de haut niveau reste avant tout un métier et un business.»
A Kyiv, on s’indigne de toute tentative de boycott, en brandissant en étendard le supposé apolitisme du sport. «Le sport c’est le sport, la politique c’est la politique, et tout cela est de la manipulation artificielle», a déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères ukrainien.
Une position pas forcément justifiée, selon Paul Dietschy. Pour lui, les statuts de la Fifa comme de l’UEFA laissent clairement un champ d’action. On peut ainsi y lire: «Toute discrimination d’un pays, d’un individu ou d’un groupe de personnes pour des raisons d’ethnie, de sexe, de langue, de religion, de politique ou pour toute autre raison est expressément interdite, sous peine de suspension ou d’exclusion».
«On pourrait tout à fait interroger Michel Platini sur le cas Timochenko en vertu de cet article», remarque l’historien. Mais «Platoche» sait aussi qu’il doit sa place à la tête de l’UEFA au soutien que lui ont apporté les pays de l’Est pour son intronisation. Par ailleurs, l’Euro doit rapporter 2 milliards d’euros à son institution. De quoi tempérer d'éventuelles ardeurs progressistes...
Les débats autour des compétitions sportives risquent de toute façon de se multiplier à l’avenir. «Si on ne doit organiser des événements que dans des pays démocratiques et sans corruption, ça restreint la liste, estime Paul Dietschy. On peut s’interroger sur le Mondial 2014 au Brésil et celui de 2018 en Russie. Quand on voit la façon dont la police agit à Rio, ce n’est pas vraiment dans les normes des démocraties libérales...»
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Via: liberation.fr
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