Elles sont radicales, excessives, brutales. Aussi trash dans leur tenue que cash dans leur propos. L'outrance et la violence sont leur terrain de jeu. Les Femen ont débarqué un jour en France place des Vosges, amazones topless en porte-jarretelles pour allumer DSK. A l'époque, ces soubrettes d'un nouveau genre avaient fait sourire. La cible était facile. Elle ne dérangeait pas. Elles se sont ensuite transformées en nymphes à Davos, pour le Forum économique mondial, en hockeyeuses de charme à Zurich, en supportrices enflammées à Varsovie, hurlant à s'en briser la voix : « Fuck euro, Fuck euro ». Là encore, le discours était entendu : prostitution, tourisme sexuel, corruption, capitalisme... Des thématiques un peu fourre-tout, nappées à la sauce féministe 2.0. Les seins nus comme arme de médiatisation massive ; leur joli minois comme étendard d'un féminisme punk et glamour à la fois ; la couronne de fleurs pour symbole.
C'est en mars dernier, à Paris, place du Trocadéro, que les Françaises sont entrées en scène. A moitié nues sous leur cape « façon burqa », une dizaine d'entre elles se sont mises à scander en choeur : « Allah has created me naked » (« Allah m'a créée nue »). Parmi elles, plusieurs « Françaises d'origine », tatouées « no charia ». Les Femen « bleu-blanc-rouge » étaient nées, l'islamisme en ligne de mire. En juillet dernier, on les a retrouvées à Londres, jour du lancement des jeux Olympiques, sans leurs soeurs ukrainiennes, bloquées au pays pour un refus de visa. Bilan : 12 heures de garde à vue avec prise d'empreintes ADN. Fichées sur Europol presque comme des terroristes pour avoir sprinté en petite culotte contre l' « hypocrisie des régimes islamiques participant aux jeux Olympiques, qui imposent aux Jeux des femmes voilées, à l'encontre du règlement olympique ». Le baptême du feu des Femen France a fait le tour du monde. Et ce n'est que le début. Rien ne les arrête. On croyait les Femen d'aimables répliques de leurs cousines les Pussy Riot, on découvre des furies dépoitraillées obsédées par les religions et la laïcité. Etrange tournant pour ces guerrières venues du froid, filles de la révolution Orange, qui ont su insuffler un zeste d'activisme militant dans une région qui en manque tant. Pour l'heure, menacées dans leur pays, elles viennent d'investir le théâtre du Lavoir moderne parisien dans le 18e arrondissement, comme base stratégique de repli et QG de leurs prochaines actions. « Nous avons choisi la France car elle est plus tolérante que l'Ukraine avec nous, explique, pragmatique, Inna Chevtchenko. Mais notre objectif c'est que le mouvement se globalise et s'adapte aux problématiques de chaque pays. » Outre les Femen France, il existe déjà des groupes locaux au Brésil, en Tunisie, en Suisse, ou en Italie.
Femen Hexagonales Françoise Huguier
Les nouvelles recrues hexagonales n'ont pourtant rien de commun avec leurs alter ego ukrainiennes. Plus âgées, plus matures politiquement, la plupart ont traîné leurs guêtres dans le monde associatif avant de rejoindre les Femen. Elles ont eu le temps de se construire une identité militante forte et assument sans complexe le clin d'œil à leurs aînées qui brûlaient leur soutien-gorge dans les années 1960. En se greffant à la fougue et la fraîcheur des Femen, elles veulent « s'attaquer aux sujets qui dérangent, sans tabous ». « Ni Putes Ni Soumises s'est coupé de sa base, Osez Le Féminisme se perd dans des combats d'un autre temps et la Barbe se limite à des questions de genre, explique Safa Lebdi, la première à rejoindre les Femen France (voir portrait). Nous, on veut occuper le terrain du féminisme populaire que les autres mouvements ont délaissé ». L'intention est louable. Reste à espérer qu'elles restent loin des sirènes de la politique.
Les politiques, Safia Lebdi et Loubna Meliane
De toutes, elles sont les plus politiques, donc les plus exposées. La première, Safia, est conseillère régionale verte d'Ile-de-France et préside la commission du film. Figure bien connue du monde associatif, elle a fait ses classes à la Maison des Potes de Clermont-Ferrand avec une certaine Fadela Amara. Loubna, elle, est l'assistante parlementaire de Malek Boutih, ancien président de SOS Racisme. Toutes deux sont marquées par leur parcours syndical et militant, surtout connues pour être les « marcheuses » « pour l'égalité et contre les ghettos » après la mort de Sohane, brûlée vive à Vitry-Sur-Seine en 2003, à la base du mouvement controversé des Ni Putes Ni Soumises. Déçues par la récupération politique de l'association, elles affirment avoir retrouvé, chez les Femen, la « spontanéité » de leurs débuts.
Les artistes
Eloïse Bouton, 29 ans et Charlotte Saliou, 39 ans. Françoise Huguier
Elles sont les deux créatives de la bande. Eloïse, auteure d'un mémoire sur le Féminisme noir-américain, passionnée de hip-hop, est critique musicale et chanteuse. Charlotte a une formation de chanteuse lyrique et enseigne le clown au théâtre du Samovar à Paris. Pour elle, rejoindre les Femen, c'est une continuité de sa démarche artistique et féministe.
L'intello
Darina Al Joundi, 44 ans. Françoise Huguier
Elle s'insurge, virevolte, frappe du poing sur la table et fume comme un pompier. Darina est une révoltée. Comédienne depuis l'âge de huit ans, elle est aussi l'auteur de plusieurs projets remarqués, dont la pièce de théâtre « Le Jour où Nina Simone a cessé de chanter », saluée en 2007 lors de sa création au Festival d'Avignon. Dans son nouveau spectacle « Ma Marseillaise », créé en juillet dernier en Avignon, elle raconte avec humour son arrivée en France en 2005 et sa lutte pour obtenir des papiers. Celle qui a choisi la France pour exil, « pays modèle de la laïcité et des droits des femmes», n'en revient pas de devoir prouver qu'elle est «arabe mais pas musulmane », et qu'elle « ne sait pas faire de youyous ».
L'exilée ukrainienne
Inna Chevtchenko, 21 ans. Françoise Huguier
De ses ongles vernis, elle gratte nerveusement la peinture rouge étalée sur son torse. Les traces s'effacent mais le message se lit encore : « No church ». La blonde a beau avoir un doux visage aux yeux couleur d'eau, elle a la fougue et les idées arrêtées d'une fille de son âge, 21 ans. Inna Chevtchenko n'a encore « jamais douté » de la justesse de ses causes. Elle dénonce le régime ukrainien, à la solde de « Poutine, le dictateur », martèle qu'elle veut « abolir toutes les religions, complices du pouvoir, qui ne servent qu'à asservir les femmes ». Pour cela, elle est prête à tout.
Prête à « montrer la voix », seins nus, à ses « sœurs » de Tunisie, d'Egypte, « brûler les voiles », « abattre les croix », « profaner les lieux de culte ». Même faire de la prison. Inna s'en fout : depuis qu'elle a été « séquestrée et torturée » par le KGB biélorusse, elle ne craint plus l'enfer. Elle l'a vécu. En décembre dernier, après une action musclée à Minsk, elle a été kidnappée et jetée dans un camion avec deux autres Femen ukrainiennes. « Ils nous ont frappées à coups de matraque, déshabillées, aspergées de détergent, coupé les cheveux, avant de nous abandonner en pleine forêt, par moins 20° C ». Depuis, elle dit qu'elle se sent « encore plus forte » : « On fait peur au pouvoir parce qu'on ne le craint pas ». Le 17 août dernier, jour du verdict du procès des Pussy Riot, Inna a scié à la tronçonneuse une grande croix en bois en plein centre de Kyiv. Puis, pour échapper à la police venue l'arrêter à son domicile, elle a dû sauter par la fenêtre avec seulement son passeport et son téléphone portable en poche. Prochain objectif : « Recruter une armée de Femen en France et dans le monde ». En toute humilité.
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