INTERVIEW - Serge Blisko, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) explique à «20 Minutes» comment il est arrivé à la conclusion que les Femen ne sont pas un mouvement à caractère sectaire…
Serge Blisko a travaillé pendant dix ans avec le député UMP Georges Fenech comme parlementaire, avant de lui succéder à la présidence de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) en 2012. Le 10 février dernier, ce dernier a saisi la Miviludes sur les Femen, qu’il accuse de «dérive sectaire». Une accusation que balaye aujourd’hui Serge Blisko après examen du dossier.
Dans votre réponse rendue ce jeudi, vous affirmez «ne pas disposer de faisceaux d’indices suffisants permettant d’arriver aux mêmes conclusions [que lui]». Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion?
On a une dizaine de critères pour établir une dérive sectaire, dont la manipulation mentale, les exigences financières, les troubles à l’ordre public, la rupture avec l’environnement familial, l’importance des démêlés judiciaires, etc. On regarde aussi la fréquence avec laquelle on nous interroge sur le groupe. Concernant les Femen, on a vu dans la presse beaucoup de réactions indignées mais nous, nous n’avons reçu aucun signalement à leur sujet. C’est déjà un indice négatif.
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Comment avez-vous travaillé pour confronter les pratiques des Femen à ces critères?
On a utilisé ce qui était paru dans la presse, les écrits, les témoignages, ce qui s’est dit au procès de la jeune femme pour son action à la Madeleine, et ce que dit Caroline Fourest dans son ouvrage sur les Femen, Inna. Nous n’avons pas interrogé d’anciens membres comme «Alice» [qui a témoigné sous pseudo] parce qu’elles ne sont pas venues nous solliciter.
«Alice» dénonçait l’emprise du groupe sur l’individu. Qu’en pensez-vous?
C’est vague. Quand on est dans un mouvement activiste, le phénomène de groupe est fort. Donc quand on s’en va, on le dénonce. Cela n’en fait pas une dérive sectaire pour autant. Par ailleurs, dans les sectes, il y a une très forte pression pour que ses membres n’en sortent pas. Ce n’est pas le cas ici avec les Femen.
Le critère de «trouble à l’ordre public», plusieurs fois invoqué à leur sujet, et «l’importance des démêlés judiciaires» pouvaient-ils s’appliquer en ce qui les concerne?
Tout mouvement qui cause des troubles à l’ordre public n’est pas un mouvement sectaire, heureusement, sinon on serait débordé de travail! Quand Greenpeace grimpe dans la centrale de Fessenheim, c’est un trouble à l’ordre public, qui peut d’ailleurs entraîner des démêlés judiciaires. Mais tout mouvement activiste n’est pas sectaire pour autant.
Les Femen sont un mouvement activiste, radical, qui a causé des troubles à l’ordre public au moins deux ou trois fois, et qui a eu deux démêlés judiciaires [après leurs actions à Notre-Dame et la Madeleine]. Mais à côté de Greenpeace, par exemple, c’est du pipi de chat!
Y a-t-il un critère plus important que les autres pour établir une dérive sectaire?
Oui, le critère numéro un, c’est la manipulation mentale. Quand il n’est pas là, il n’y a pas de dérive sectaire.
Au vu des conclusions, n’avez-vous pas été surpris que l’ancien président de la Miviludes, qui connaît très bien tous ces critères, vous saisisse au sujet des Femen?
Les Femen étaient dans l’actualité, et Georges Fenech est à l’affût. Donc en tant que politique assez fin, il a senti qu’il y avait au moins une interrogation chez certains, qu’il était utile de faire savoir qu’il nous interrogeait. C’est son job. C’est l’ancien président de la Miviludes mais maintenant c’est avant tout un homme politique. Comme nous sommes une mission interministérielle auprès du Premier ministre, nous lui avons fourni la réponse gouvernementale.
Dans sa lettre, Georges Fenech vous demandait aussi de voir les initiatives que vous pourriez prendre, comme la dissolution des Femen. Vous n’en faites pas mention dans votre réponse…
Parce que cela ne relève pas de mes compétences. Dissoudre une association [le statut des Femen] se fait en Conseil des ministres, sur un rapport du ministre de l’Intérieur, pas à la Miviludes.
Vous êtes-vous senti instrumentalisé par sa demande?
Non, elle est politique et piquante, mais ça va, on n’a pas souffert.
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