Femen: un macho dans le placard

La réponse qu'offre le film L'Ukraine n'est pas un bordel* est aussi brutale que déprimante: les seins des Femen cachent un homme, Viktor Sviatski, macho tyrannique qui un jour, à Kyiv, s'est autoproclamé sans rire «père du nouveau féminisme». Un homme qui laisse entendre qu'il a créé Femen pour «avoir des filles». Des filles qu'il n'hésite pas à manipuler en les traitant de salopes. Et vive le «nouveau féminisme» !

Même si son film donne un coup de massue aux Femen en montrant le macho qui se cachait dans leur placard, la réalisatrice Kitty Green ne cherche pas nécessairement à faire le procès de ce mouvement controversé. Cette jeune féministe avait entendu parler des Femen pour la première fois dans un tabloïd laissé sur le plancher d'un train, à Melbourne. Elle avait été attirée par la photo d'une jeune blonde aux seins nus qui tenait une pancarte avec l'inscription «L'Ukraine n'est pas un bordel». Une image belle et contradictoire qui, aux yeux de la cinéaste, montrait à la fois la force de la jeune femme et sa naïveté.

Qu'y a-t-il derrière cette image? Lorsqu'elle est arrivée à Kyiv, Kitty Green pensait faire un film sur un mouvement de jeunes femmes audacieuses qui, tout en utilisant des stratégies contradictoires, tentent de faire de l'Ukraine un meilleur pays pour les femmes. Mais au fil du temps - elle a été la colocataire de 4 militantes Femen pendant 14 mois -, la documentariste a compris que la réalité était beaucoup plus décevante.

Quand elle s'est retrouvée à la même table qu'un homme d'affaires turc qui avait commandité le voyage des Femen en Turquie pour faire la promotion d'une marque de lingerie (!), la cinéaste s'est demandé si elle n'était pas, finalement, la seule féministe autour de la table... Le contraste entre le film qu'elle aurait voulu faire et celui qui se déployait sous ses yeux était consternant.

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L'Ukraine n'est pas un bordel, d'accord. Mais les Femen sont-elles vraiment féministes? On se pose la question en écoutant les militantes Femen se confier à la caméra: «Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des filles ukrainiennes ne savent même pas ce qu'est le féminisme», dit l'une d'elles au début du film. Mais les Femen le savent-elles elles-mêmes? se demande-t-on. Comment des militantes qui disent vouloir protester contre tout ce qui atteint les droits des femmes ont-elles pu se soumettre à un macho tyrannique qui utilise le féminisme comme paravent? Syndrome de Stockholm, dira l'une. Ou encore syndrome de l'esclave qui ne sait plus vivre sans ses chaînes...

Loin de nier l'existence de ce squelette dans leur placard, les Femen disent être sorties de cette histoire plus fortes encore. Elles ont largué leur Viktor. Et elles ont fui l'Ukraine pour mener leur combat là où il ne pourra plus les tyranniser. Selon elles, le fait d'avoir subi la domination masculine les rend encore plus aptes à la critiquer.

Pirouette pour se tirer d'embarras? L'essayiste Martine Delvaux, qui a toujours défendu les Femen, ne le croit pas. Elle y voit un exercice d'humilité qui demande du courage et qui ne mine pas leur crédibilité. Car loin de se défiler, les Femen assument. «S'il fallait aller voir dans les tiroirs du féminisme, on trouverait des choses parfois gênantes!»

Le mouvement des Femen ne se résume pas à leur passé trouble, rappelle Martine Delvaux. Leur message va au-delà de ce qu'elles font avec audace et détermination. Chez nous, leur action permet d'attirer l'attention sur des enjeux qui autrement passeraient peut-être inaperçus. Pensons à la manifestation pro-vie à Ottawa il y a une dizaine de jours. Il s'agit d'une manifestation annuelle. Les Femen s'y sont invitées. «Est-ce qu'il y aurait eu des articles dans les journaux si les Femen n'avaient pas été là?»

Cela dit, à mon sens, s'il faut saluer le courage des Femen, cette histoire de macho dans le placard met en lumière, au-delà de la contradiction flagrante, l'absence d'un discours politique solide à la base de leur démarche. Comme si le mouvement Femen provoquait d'abord et réfléchissait ensuite...

Un macho à Kyiv dit: «Amenez-moi les plus belles filles. Mettez-les nues. Et je vais réinventer le féminisme avec ces salopes!»

Le macho en question a fini par être largué et c'est très bien. Mais le fait qu'il ne l'ait pas été dès le départ reste bien troublant.

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* Le documentaire Ukraine Is Not a Brothel (V.F. L'Ukraine n'est pas un bordel) sera à l'affiche au Cinéma du Parc dès le 23 mai.

Via: lapresse.ca


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