Féminisme – Le mouvement Femen lutte à sa façon pour améliorer les conditions de la gent féminine en Ukraine. Innovant dans son mode d’action, il participe à l’émergence d’une nouvelle vague féministe.
Depuis l’effondrement du bloc soviétique, le « marché de la femme » se porte bien en Ukraine. Le tourisme sexuel est devenu, de fait, l’un des secteurs les plus rentables du pays. C’est pour lutter contre ce fléau que le mouvement Femen a vu le jour en 2008. Réunies dans ce collectif, des Ukrainiennes dénoncent la place peu enviable des femmes.
Leur mode d’action est simple: elles défilent seins nus afin de dénoncer l’inaction du gouvernement pour résoudre les problèmes du pays, entre la prostitution, le tourisme sexuel et le recul de la démocratie. « L’Ukraine n’est pas un bordel » est devenue le slogan de Femen, les seins nus et la couronne de fleurs, ses symboles.
L’activisme de ce mouvement repose sur des actions non-violentes, où la provocation prime. En d’autres termes, il s’agit d’user du sexisme pour lutter contre le sexisme. « Quand nous manifestons les seins nus, les gens nous regardent et nous écoutent… Si on se comportait de façon plus décente, nos actions n’auraient pas le moindre impact » explique Anna Goutsol, fondatrice du mouvement. Alors que l’Ukraine s’apprête, avec la Pologne, à accueillir la prochaine coupe d’Europe de football en 2012, Femen entend bien profiter de cet événement pour militer « pour un Euro sans prostitution ».
Une notoriété qui dépasse les frontières
Le mouvement féministe bénéficie désormais d’une portée médiatique internationale. Les actions s’étendent aux pays voisins européens. Cela a été le cas en France, où les militantes se sont retrouvées devant le domicile de DSK, place des Vosges. Déguisées en femme de chambre, en référence à Nafissatou Diallo, les militantes ont interpellé l’ancien patron du FMI avec « Voulez-vous coucher avec moi, ce soir ». Mais DSK n’est pas le seul dirigeant à avoir subi pareil affront.
Silvio Berlusconi, Vladimir Poutine, ou encore Alexandre Loukachenko, président de la Biélorussie dont on a dénoncé les fraudes électorales lors de sa réélection, y ont également eu droit. Femen est devenue une source d’inspiration notoire dans le monde pour les mouvements féministes. Le mouvement Slutwalks (« marches des salopes ») au Canada s’est largement inspiré du mouvement ukrainien.
Reste que le gouvernement ukrainien résiste, en refusant toujours de reconnaître l’existence légale de l’organisation. Lors des manifestations, si les activistes ne se dispersent pas à temps, elles finissent au poste, condamnées à payer une amende. Dans le journal Kyiv Post, le ministère de la Justice ukrainien déclarait que ce mouvement ne pouvait être reconnu en raison « d’atteintes possibles à l’ordre public ».
« La place de la femme est dans la cuisine »
Le machisme ambiant au sein des hautes institutions du pouvoir ukrainien est indéniable. D’ailleurs, le gouvernement ne compte aucune femme . Et le président ukrainien Viktor Ianoukovitch estime que « la place de la femme est dans la cuisine ». On peut facilement comprendre que les coups d’éclats de Femen dérangent le pouvoir en place. Le mouvement féministe s’oppose à la réélection suspecte de Viktor Ianoukovitch depuis plus d’un an.
«Nous refusons que les acquis démocratiques du gouvernement précédent soient complètement bradés. Nous constatons une dérive totalitaire. Certains membres de l’opposition sont déjà en détention provisoire » s’est indignée Anna Goutsol, la chef de file de Femen. Des activistes du mouvement s’étaient notamment introduites dans le bureau de vote où s’apprêtait à voter le président ukrainien en février 2010. A moitié nues, comme à l’accoutumée et au plus grand bonheur des photographes présents ce jour-là, elles avaient notamment scandé : « Stop au viol de l’Ukraine ».
Face à ces actions chocs, le gouvernement tente le tout pour le tout. Arrestations, amendes, perquisitions, comptes Facebook temporairement bloqués, menaces, violences. Mais face à la conviction inébranlable de ces femmes, le pouvoir semble surtout désemparé. Chaque arrestation accroît encore davantage la popularité du mouvement.
Une nouvelle vague féministe
L’évolution des mœurs prendra du temps en Ukraine. Le message de Femen est mal compris par certains. Et beaucoup estiment que l’utilisation des codes masculins ne fait que brouiller les revendications féministes. C’est le cas de la fondation néerlandaise Strada, spécialisée dans la lutte contre la prostitution. Elle considère que les actions du mouvement nuisent à l’image des femmes et confortent les clichés sexistes.
En guise de réponse, les femmes de Kyiv estiment que le collectif Femen incarne le féminisme du XXIe siècle, qui passe par la réappropriation du corps féminin. Ce mouvement atypique a le mérite de faire bouger les lignes. Il brise les conventions, s’attribue une nouvelle façon de communiquer. Nul doute, les femmes intrépides de Femen n’entendent pas s’arrêter là. Elles espèrent fonder prochainement un parti politique et lier des relations internationales. La nouvelle vague féministe est en marche !
Mathieu Besselièvre
Photo: Flickr/Licence CC
Via: lecourant.info
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