Leur procès devait s'ouvrir ce 5 juin, avant d'être finalement reporté au 12. Les Françaises Pauline et Marguerite et l'Allemande Joséphine, les trois Femen qui avaient protesté le 29 mai devant le palais de justice de Tunis en soutien à Amina, restent emprisonnées et poursuivies pour "outrage public à la pudeur" et "atteinte aux bonnes moeurs". Elles encourent jusqu'à six mois de prison.
Les trois Femen, dont la particularité est de militer seins nus, avaient volé au secours d'Amina, seule Femen tunisienne, en menant leur première action dans le monde arabe devant le palais de justice de Tunis. La poitrine badigeonnée de slogans, elles s'étaient s'attiré les foudres des passants et des avocats en robe. Aucune surprise pour une membre du mouvement, Aleksandra Shevchenko. "Dans les sociétés patriarcales, les femmes libres représentent la plus grande frayeur des gens. Si une société est suffisamment tolérante, il n'y a pas de réaction à nos actions, mais si quelque chose ne va pas, cela explose. Cela n'a rien à voir avec leur culture. Ils appellent ça de la religion, pour moi, c'est de la politique", juge l'Ukrainienne au téléphone, qualifiant les actions des Femen de "tests de la démocratie".
"Une provocation stérile"
Et pour elle, le combat ne fait que commencer. D'autres Femen pourraient être "envoyées" en Tunisie, annonçait il y a quelques jours Aleksandra Shevchenko. Le 4 juin, cette activiste a été interpellée dans un hôtel de Tunis avant d'être expulsée du pays. "On défendra nos soeurs Femen, n'importe où dans le monde", prévient-elle. Le 1er juin, une Femen a interrompu un discours d'Hamadi Jebali, ancien Premier ministre, au Canada.
En Tunisie, leurs actions sont loin de faire l'unanimité. Devant le tribunal de première instance de Kairouan, le 30 mai, des centaines de personnes étaient rassemblées pour protester contre Amina. Treize associations de femmes tunisiennes ont annoncé qu'elles portaient plainte contre les trois Femen, jugeant leur comportement "immoral". L'opposition sort doucement de son silence. "Ce type d'extrémisme va être utilisé par les ennemis de la liberté pour porter préjudice aux forces patriotiques et démocratiques dans leur lutte pour la liberté et l'égalité des hommes et des femmes", a écrit Mohsen Marzouk, dirigeant de Nidaa Tounes, sur les réseaux sociaux, "condamnant" l'action des Femen. Laquelle a été qualifiée de "provocation stérile" par Nadia Chaâbane, élue d'El-Massar (opposition), dans une déclaration à l'AFP, tout en estimant que "cet acharnement" contre Amina "n'est pas justifié. Elle ne représente en aucun cas une menace pour la sécurité nationale".
"Choquer peut parfois être bénéfique"
"C'est scandaleux de voir que ni ceux qui sont au pouvoir, ni la société civile, ni l'opposition, ni le peuple tunisien n'ont compris ce qu'était la démocratie. Tout le monde veut la liberté, mais tout le monde insiste pour qu'elle soit limitée", regrette Henda Hendoud, membre du comité de soutien d'Amina, qui estime également que les étudiantes en niqab ont le droit d'étudier et de passer leurs examens. À l'occasion du 8 mars, la Journée de la femme, cette représentante du mouvement Uprising for Women in the Arab World avait posé sur un panneau publicitaire une pancarte entre ses mains disant : "La femme tunisienne fait partie du processus révolutionnaire."
"C'était très politiquement correct, mais à côté de la plaque par rapport à ce qu'a fait Amina. Choquer peut parfois être bénéfique. On ne pouvait pas parler du corps de la femme, ni mesurer l'intolérance de la classe politique et de la société civile, aujourd'hui, on est devant des faits. Et le test est négatif", constate-t-elle, tout en sachant sa position "minoritaire". "Beaucoup de personnes stigmatisent aujourd'hui Amina parce qu'elle s'est dénudée, mais oublient la liberté d'expression en se focalisant sur le corps. La femme se résume-t-elle à son corps ? Il faudra que cette politique d'instrumentalisation du corps de la femme de la part de la population tunisienne disparaisse", estime Fathia Hizem de l'Association tunisienne des femmes démocrates qui défend Amina en tant que "victime de violence", sans soutenir "le mode d'action".
Procès à répétition
"À chaque fois que la justice veut limiter la liberté d'expression, elle brandit l'article de l'atteinte aux bonnes moeurs", fait valoir Amna Guellali, représentante de Human Rights Watch à Tunis. En un an et demi, il y a eu l'affaire dite Persepolis, celle du quotidien Attounissia, celle du palais Abdellia, mais aussi la condamnation de Jabeur Mejri et Ghazi Béji, deux blogueurs qui avaient diffusé des dessins du prophète Mahomet et un texte jugé offensant envers l'islam. Ils ont écopé de sept ans et demi de prison pour "troubles à l'ordre public" et "transgression de la morale". Le premier est en prison depuis plus d'un an. Le second s'est réfugié en Europe.
Le rappeur Weld el-15 a été condamné à deux ans par contumace pour "outrage à fonctionnaire" et "outrage à la pudeur". L'opposition à son procès se tient le 13 juin. Et d'autres procès visent aussi à limiter la liberté d'expression selon Amna Guellali. Celui de la blogueuse Olfa Riahi qui a été poursuivie pour diffamation, selon un texte du Code pénal tunisien, et non du Code de la presse, alors qu'elle a révélé une affaire de malversation, preuves à l'appui, touchant l'ancien ministre des Affaires étrangères Rafik Abdessalem. Celui de la psychanalyste Raja Ben Slama, également poursuivie pour diffamation, pour avoir critiqué "le rendement" d'Habib Kheder, le rapporteur général de l'Assemblée constituante. "Tous ces procès, pris dans leur ensemble, ont une teneur politique, note Amna Guellali. On ne peut qu'être perplexe face à l'orientation générale de la politique judiciaire des nouvelles autorités tunisiennes."
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