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Finis les sit-in, défilés et autres mouvements de masse. Pour être entendu, il faut se mettre à nu. Aliaa Elmahdy l’a bien compris. Cette jeune blogueuse égyptienne au visage de poupée, qui se revendique « laïque, libérale, végétarienne et individualiste », a publié sur son site une photo d’elle en tenue d’Eve pour réclamer la libération de son ami Karim Amer. Relayé via Twitter, ce cliché, à lui seul, a propulsé la contestation égyptienne sur le devant de la scène médiatique aussi efficacement que les milliers de cris de la place Tahrir.
Cette forme de protestation, qui puise sa source dans les groupuscules anarchistes et libertaires de la fin du XIXe siècle et les mouvements pacifistes des années 1960-70, a longtemps été la particularité des militants écologistes. Le corps mis à nu révèle toute sa fragilité et renvoie à celle de la nature. En octobre 2009, 700 personnes se sont ainsi dénudées dans des vignes bourguignonnes (est de la France) sous l’objectif du photographe Spencer Tunick. Répondant à l’appel de l’association Greenpeace, ils voulaient alerter l’opinion sur les dangers du réchauffement climatique pour la viticulture. Ces volontaires « vont montrer comment la fragilité de leur corps est étroitement liée à la fragilité des écosystèmes », expliquait alors Pascal Husting, directeur général de Greenpeace France.
La protestation nue est même devenue caractéristique de certains groupements. Le World Naked Bike Ride organise ainsi régulièrement de grandes promenades cyclistes « à poil » dans les grandes villes de la planète. L’association de défense des animaux PETA est aussi coutumière de ce type d’action, pour protester contre la corrida ou le port de vêtements en fourrure. « Plutôt nu qu’en fourrure », scandent ses activistes aux quatre coins du globe. L’actrice hollywoodienne Eva Mendes, notamment, leur a apporté son soutien.
Un appel à la liberté
Longtemps utilisée dans les pays démocratiques, cette méthode de contestation s’étend désormais au monde entier. Dans les régimes autoritaires, elle devient un symbole de défiance à l’ordre établi. L’exemple d’Aliaa Elmahdy en est la preuve, celui d’Ai Weiwei en est une autre. Quand cet artiste chinois a été accusé de « pornographie » par le gouvernement de Pékin pour avoir posé nu en compagnie de quatre jeunes femmes, une immense vague de soutien venue de tout le pays a déferlé sur internet. Des hommes et des femmes de tous âges, visage masqué ou dévoilé, se sont photographiés entièrement dévêtus. Sur les clichés, compilés sur le blog awfannude, beaucoup brandissent un doigt d’honneur au régime chinois. « La nudité n’est pas de la pornographie », martèle le site. « Le fait que des gens protestent nus dans des pays comme l’Egypte ou la Chine montre que la nudité cristallise des aspirations à la démocratie ou à davantage de libertés individuelles », analyse Francine Barthe-Deloisy, auteure de Géographie de la nudité.
Alors qu’elle est souvent adoptée pour exprimer des revendications bien particulières, certains font au contraire de la nudité le fer de lance de toutes les causes. C’est le cas du mouvement féministe ukrainien Femen, créé en 1998. Depuis quelques années, ses militantes multiplient les coups d’éclat en manifestant seins nus : contre l’ingérence du Kremlin dans les affaires ukrainiennes ; contre la réforme des retraites ; ou encore contre la prostitution. Le mouvement a même fait des émules. En France, quatre activistes ont ainsi récemment joué les soubrettes devant le domicile de l’ancien directeur général du FMI Dominique Strauss-Kahn. En Italie, plusieurs d’entre elles ont manifesté contre le Silvio Berlusconi, aujourd'hui ex-président du Conseil italien.
« Avec Femen, nous avons inventé une façon unique de nous exprimer, basée sur la créativité, le courage, l’humour, l’efficacité, sans hésiter à choquer. Les gens ne s’intéresseraient pas à notre message si nous n’étions pas habillées de cette façon », justifiait à France 24 Anna Hutsol, la fondatrice du mouvement, en 2009.
Attirer les médias
Plus qu’une simple métaphore, une façon de défendre la cause animale ou de défier la morale, la nudité est surtout employée pour attirer l’attention des médias. « La nudité a un impact visuel extrêmement puissant », remarque Francine Barthe-Deloisy. Contrairement aux manifestations syndicales ou politiques dont la réussite se mesure au nombre de participants, les protestataires nus n’ont pas besoin d’être nombreux pour s’assurer une visibilité certaine. Car malgré l’omniprésence de corps dévêtus dans la publicité, le nu continue à interpeller, voire à choquer. « Ce sont deux types de nudité qui n’ont rien à voir, explique Francine Barthe-Deloisy. Le nu des publicités est un nu construit, travaillé, codifié. Les corps sont jeunes, minces et bronzés. Les corps des protestataires, en revanche, peuvent être ceux de tout le monde. Il y a de tout, des minces, des gros, des jeunes, des vieux, des poilus, des imberbes ». « En s’affichant ainsi, il font sauter un verrou universel », poursuit-elle.
En 2003, le quotidien Libération écrivait : « Ainsi l'effeuillage est-il inversement proportionnel à la force et à l'ampleur du mouvement. Ce n'est donc pas demain que défileront des bataillons d'enseignants nus ». Huit ans plus tard, signe que les mouvements de masse traditionnels ne font plus recette, un collectif de quinze professeurs français décide de poser dans le plus simple appareil contre « le dépouillement de l’école ». Dans un manifeste publié sur internet, ils dénoncent « l’abandon de l’Etat de sa mission de service public d’éducation ». Depuis septembre 2011, leur pétition a déjà rassemblé plus de 36 000 signatures.
Si se dénuder est devenu l’ultime recours pour mobiliser, on peut alors se demander ce qu’il adviendra lorsqu’il aura fini par lasser.
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