Le service d’ordre du FN avait-il le droit d’exfiltrer les Femen ?

Le département protection et sécurité a exfiltré des journalistes de Canal+ agressés par des militants frontistes, vendredi 1er mai lors du défilé du Front national en hommage à Jeanne d'Arc.

Les services de sécurité du Front national ont fait parler d’eux, vendredi 1er mai, lors du traditionnel défilé du parti en mémoire de Jeanne d’Arc. Le Département protection sécurité (DPS), service d’ordre du FN depuis 1985, est en effet intervenu pour éloigner la militante féministe Femen qui tentait de s’approcher de la présidente du parti, Marine Le Pen, alors qu’elle déposait une gerbe de fleurs au pied de la statue de Jeanne d’Arc, place des Pyramides. Le DPS a également exfiltré trois journalistes de Canal+ agressés par des militants frontistes. Enfin, trois autres militantes Femen, qui surplombaient la foule du haut du balcon d’un hôtel en faisant des saluts nazis, ont été délogées manu militari.

Cette dernière intervention, d’une manifeste violence, est restée l’image forte de ce 1er mai émaillé d’incidents. Difficile toutefois d’affirmer qu’il s’agit bien de membres du DPS, puisque depuis quelques années le Front national fait également appel à des sociétés de sécurité privées, en particulier lors du défilé du 1er Mai. En 2013, c’est notamment Axel Loustau, à la tête du cercle patronal Cardinal, et sa société de sécurité privée Vendôme sécurité, qui avaient assuré la sécurité de la scène et du carré presse lors de cet événement annuel.

Une intervention illégale

Si la violence de l’intervention des gros bras frontistes contre les militantes Femen a choqué, elle est aussi illégale. En effet, les agents de sécurité n’ont aucune prérogative particulière. Selon le code de procédure pénale, le pouvoir coercitif est exclusivement réservé aux policiers et aux gendarmes.

Les agents de sécurité ont le droit de procéder à des interpellations, mais pas plus que tout autre citoyen, puisque l’article 73 du code de procédure pénale précise bien que :

« Dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche. »

Tout citoyen peut donc retenir quelqu’un pris en flagrant délit jusqu’à l’arrivée de la police. La jurisprudence montre que l’usage de la force doit bien évidemment être proportionné aux conditions de l’arrestation.

Les trois frontistes ont toutefois réussi à pénétrer dans l’Hôtel Intercontinental uniquement parce qu’un des employés les a pris pour des policiers en civil. Difficile de savoir à ce stade si c’est l’employé qui s’est laissé impressionner ou si les agents de sécurité se sont fait passer pour des policiers. L’altercation a en tout cas abouti à l’interpellation des trois membres des services de l’ordre, sans garde à vue. De son côté, l’avocat des Femen a annoncé porter plainte contre X pour « violences, violation de domicile et arrestation arbitraire ».

Un épisode qui rappelle des moments noirs de l’histoire du DPS : dans les années 1990, certains de ses membres avaient été mis en cause dans six incidents où ils semblaient avoir largement « outrepassé leur mission de membres d’un service d’ordre pour usurper celle de la police nationale », comme le recense un rapport de l’Assemblée nationale publié en 1999.

Quels sont les antécédents du DPS ?

Depuis sa création par Jean-Marie Le Pen en 1985, le DPS jouit d’une réputation sulfureuse, due en grande partie à la présence, parmi ses bénévoles, de nombreux anciens militaires, et notamment des légionnaires. En 1997, un « ex-gros bras du FN » donnait une interview à Libération dans laquelle il révélait les dessous de ce qu’on appelait alors la « petite légion ». Il y décrit son rôle : « intégrer les groupes de manifestants anti-FN, repérer les meneurs et les casser ». Et se différencie bien des « pères peinards de 50 balais du DPS officiel qui font les fouilles à l’entrée des réunions publiques ». « Ce sont des militants, pas des brutes comme nous », glisse-t-il.

A l’époque se pose la question de la dissolution du DPS, après que quatre de ses membres se sont fait passer pour des policiers pour évacuer des militants anti-FN, le 1er avril 1997 à Strasbourg. Casques, matraques, boucliers antiémeute : la ressemblance avec des policiers semblait voulue, comme à Montceau-les-Mines en octobre 1996. Le DPS est finalement maintenu, mais le rapport de l’Assemblée nationale « sur [ses] agissements, [son] organisation, [son] fonctionnement, [et ses] objectifs » relève, de 1987 à 1999, 68 incidents concernant 95 types d’infractions, avec un pic très net en 1997, impliquant explicitement le DPS ou des « supplétifs » appelés à titre de renfort.

La scission entre les partisans de Jean-Marie Le Pen et ceux de Bruno Mégret en janvier 1999 a toutefois porté un coup au DPS, qui enregistra à l’époque une importante fuite des cadres, jusqu’à passer à 300 membres, contre 2 500 dans les années 1990. C’est à ce moment-là que le parti commença à avoir recours aux services de sociétés de sécurité privées. Parmi les départs, il faut souligner celui de Bernard Courcelle, ancien chef du DPS, qui rejoignit d’abord Bruno Mégret avant de le quitter à son tour.

Quelle nouvelle image le DPS veut-il se donner ?

Depuis, le DPS a largement lissé son image. Son directeur national, Marc Leauté, rappelait, dans l’édition de décembre 2013 du Bouclier, publication interne aux membres du DPS, s’être fixé deux objectifs au moment de sa nomination en septembre 2012 : « la professionnalisation et le recrutement basé sur la qualité plutôt que la quantité ». Les différents numéros du Bouclier insistent donc sur les différentes formations organisées dans les sept zones que se partagent les coordinateurs régionaux, mais également sur les protocoles d’intervention et le règlement du DPS.

Entre les carnets roses des naissances des enfants de membres du service, sont publiés des témoignages de bénévoles, dont celui de Damien Lemaire, dit « Klovis », qui explique comment les « membres impassibles du DPS » ont fait preuve d’« abnégation » et de « détachement » face à des manifestants anti-FN réunis le 30 septembre 2013 à Chelles. « Le professionnalisme de l’ensemble des membres du DPS (…) a surtout prouvé à nos détracteurs que nous sommes des professionnels et que devant la menace nous ne reculons jamais ! », écrit-il. Plus loin, un court autoportrait souligne que Klovis est un ancien maître chien dans l’armée, passé dans la sécurité privée. Un parcours qui correspond bien au profil « historique » des bénévoles.

Cette volonté affichée de normalisation n’empêche pas le service de l’ordre du FN d’avoir été mêlé, depuis 2011, à quelques affaires de violences envers des journalistes, notamment contre un journaliste de France 24 en 2011 à Tours ou une journaliste d’Europe 1 en 2014 à Nice.

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Via: lemonde.fr


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