Les furies masquées du groupe punk Pussy Riot affrontent Poutine à coups de guitares sauvages et de slogans ravageurs.
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Un grondement sourd rampe sur la Place Rouge, blafarde avec son suaire de neige. Le brouhaha s’engouffre sous les protège-oreilles des rares chapkas qui rythment de loin en loin l’immense rectangle livide au cœur de Moscou. La place est presque déserte en cette journée de janvier « si froide que c’est le samovar qui réchauffe le feu » comme soupirent les babouchkas lestées de plus d’hivers que de printemps.
Les badauds repèrent assez vite l’origine du tumulte qui ne tombe pas du ciel. Devant la cathédrale Saint-Basile, il y a des tâches de couleurs mouvantes. Ils se rapprochent, distinguent un drapeau, une bannière bleue frappée d’un poing dans un cercle. Le poing dressé a remplacé la croix dirigée vers le bas, symbole du genre féminin.
Malgré le froid, la jeune femme qui brandit le drapeau est vêtue pour passer la soirée dans une boîte surchauffée des nuits moscovites. Autour d’elle, sept autres jeunes filles forment un patchwork irisé de rouge de vert, de jaune et d’orange. Le visage masqué par des cagoules en grosses mailles, elles dansent ou plutôt donnent des coups de bassin suggestifs. Elles sont accompagnées d’un panache de fumigène et par des amplis poussés à fond crachant un magma rauque où l’on distingue ces paroles hurlées en play-back : « Révolte en Russie. Poutine se chie dessus…. »
Quelques minutes plus tard, des policiers mettent fin au concert improvisé et embarquent la brochette de punkettes multicolore connue sous le nom de guerre de Pussy Riot. Quelques jours plus tard, l’une d’elles, Turia -c’est un pseudo- raconte au magazine russe ‘Afisha’ les préparatifs d’un happening bien moins improvisé qu’il n’y paraît : « On se ballade dans la ville, on regarde… Sur la Place Rouge tout a été calculé attentivement. Nous avons même acheté une échelle spéciale. On est allé sur place avec un mètre pour prendre les mesures. Nous avons répété dans des endroits différents, on a fait le tour des garages avec notre échelle, on a même cassé un toit… »
"Nous haïssons le parti Russie unie"
Depuis quelques mois, les Pussy Riot, 25 ans de moyenne d’âge, se sont fait connaître à coup d’interventions électriques dans différents lieux publics de la capitale russe dont les vidéos sont largement diffusées sur le Web. Le trois décembre, elles ont investi le toit de la prison où était incarcéré Alexei Navalny, le « hamster du net » promu héraut de l’opposition au Kremlin, inventeur du « parti des escrocs et des voleurs », la formule passée à la postérité pour qualifier Russie unie, la coalition de Poutine.
Pas question pour autant de transformer le blogueur anti-corruption en nouveau tsar : « Il ne faut pas lui donner le pouvoir absolu sinon il deviendra un autre Poutine. » Car le fond de la pensée des Pussy Riot est radicalement anti-autoritaire: « Nous haïssons le parti Russie unie mais nous trouvons aussi inadmissible la position du parti communiste, qui prône un contrôle administratif totalitaire de toutes les sphères de l’existence »
Les Pussy Riot combattent en vrac « la centralisation de la vie politique à tous les niveaux qui (leur) donne envie de vomir, l’étouffement de toute liberté et de l’activisme citoyen, l’absence de concurrence politique » lâchent-elles au Livejournal.ru Tout cela sous un anonymat destiné autant à préserver leur liberté d’action qu’à « éviter la récupération commerciale du visage féminin sur scène, comme dans les groupes de Pop ».
Elles s’inscrivent dans la droite ligne du mouvement punk-féministe riot grrrl né au début des années 90 aux Etats-Unis et porté par des groupes comme l’épatant Bikini Kill, fondé par Kathleen Hanna. L’esprit riot grrl est l’exact opposé du girl power, « sous-produit réac, dévoyé et commercial du féminisme ». Les « minous émeutiers », qui ont tous fait des études universitaires, citent plus facilement Judith Butler et les gender studies que Beyonce ou Xena la Guerrière. Quant aux féministes aux seins nus du groupe ukrainien Femen, elles ne suscitent guère leur enthousiasme : « Nous respectons la créativité de Femen, bien que nous ayons peu en commun avec elles. Le problème, c’est qu’elles font la même chose à chaque fois, ce qui a fini par lasser les gens. »
"La police pense que nous sommes à la solde des Américains"
Les Pussy Riot constituent le cœur d’un groupe plus large d’activistes et d’artistes radicaux : « Des vidéastes, des photographes qui nous filment sous tous les angles, des monteurs qui doivent en quelques heures, faire une vidéo exploitable et la poster sur le net. Nos happenings impliquent parfois plus d’une trentaine de personnes. »
Mais des riffs à la tronçonneuse, des paroles provos et des vidéos sur YouTube suffisent-ils à terrifier Vladimir Poutine au point d’entraîner ce malencontreux relâchement évoqué dans leur hymne de la Place Rouge ? « C’est la question qu’on nous pose le plus souvent : « Ben alors, il s’est chié dessus Poutine ? » Nous n’en doutons pas une seconde » triomphent les punkettes cagoulées sur afisha.ru qui, de façon plus générale, sont convaincues que le Premier ministre est dépassé par l’actuel mouvement de contestation : « Il est complètement flippé par tout ce qui se passe. Il ne s’y attendait pas et il est à l’état de zombie là, en fait. »
Que Poutine soit apeuré ou pas, les Pussy Riot sont de fait l’objet de toutes les prévenances des autorités russes : « Nous avons attiré l’attention du centre « E » (Centre pour la prévention de l’extrémisme) lors de notre happening dans le métro. Ils sont allés interroger des gens présents au concert. Sur la Place Rouge, ils ont carrément arrêté des membres du groupe et depuis ils nous ont mis sur écoute. Nous ne communiquons plus que par Internet. La police ne cesse de nous demander qui nous paie. Ils pensent que nous sommes à la solde des Américains. »
Mais si les Pussy Riot ne sont pas financées par la CIA, ce n’est pas non plus la vente de disques qui arrondit leurs fins de mois difficiles : « Lorsque nous aurons assez de chansons, nous envisageons de faire un album. Pour le moment nous n’en avons que 5… » Qui font du bruit pour 1000.
Via: parismatch.com
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