Le mouvement des Femen en Turquie devra faire face à de très
lourdes pressions des autorités, c'est très probable, étant donné la sévérité
de la législation turque en matière d'ordre moral. Pourtant, c'est
l'indifférence de l'opinion qui risque d'être la plus gênante.
Il faut en effet
s'attendre à une faible adhésion des Turques à ce mouvement qui a fait de la
nudité un étendard. A l'inverse, une grande partie des hommes, qui ont encore
beaucoup à apprendre en matière de droits des femmes, passeront probablement à
côté du message des Femen, pour ne voir, précisément, que leurs corps dénudés.
Alors, les Femen ont-elles des chances de réussir en Turquie ?
Nous sommes après tout dans un pays où un membre haut placé du parti au pouvoir
peut faire renvoyer une animatrice de télévision en raison de son décolleté, et
dans lequel une boutique de lingerie baisse le rideau lorsque le premier
ministre [Recep Tayyip Erdogan, du parti islamiste AKP], en visite dans le centre commercial qui l'abrite, doit passer devant
sa vitrine.
Et le problème ne vient pas que de la sphère politique. En
Turquie, où une majorité écrasante de la population se dit musulmane et où de
nombreuses femmes portent le voile, la nudité en public a de quoi détourner les
alliés potentiels. Comme le soulignait notre journaliste Yasmine Nagaty au
printemps dernier, le recours des Femen au nu comme uniforme, de la même façon
que le port contraint du voile dans de nombreux pays musulmans, nuit à la cause
de la libération des femmes.
Mettre en veilleuse leur athéisme
Et là n'est pas la seule faiblesse des Femen. L'organisation
est accusée de jouer le jeu du patriarcat en recrutant délibérément des
militantes séduisantes, mais aussi d'utiliser certains de ses rassemblements pour
faire de la publicité aux entreprises qui la soutiennent. La vente, sur la
boutique en ligne des Femen, de boobprints [empreintes
de seins, à la façon des peintures de mains enfantines] pour lesquelles
l'acheteur peut choisir son modèle, va aussi à l'encontre de la lutte contre le
phénomène de la femme-objet.
Cependant, au lieu de jouer les éléphants dans un magasin de
porcelaine, les Femen pourraient plutôt choisir de se fondre dans le paysage
turc. Des signes avant-coureurs le laissent d'ailleurs penser : à
l'annonce de la création de Femen-Turquie, l'organisation s'est simultanément
ralliée aux manifestants de l'Université technique du Moyen-Orient (METU) à Ankara.
Certes le communiqué s'accompagnait de photos d'une militante turque dénudée,
mais le message insistait surtout sur la solidarité avec les opposants à la
municipalité AKP d'Ankara et à son projet de destruction partielle de la forêt
de la METU pour y mettre une autoroute.
Pour peu qu'elles choisissent soigneusement leurs combats et
s'en tiennent à des méthodes plus adaptées à la société turque (autrement dit,
si elles mettent un peu en veilleuse leur athéisme et portent des vêtements), alors
les Femen auront une chance d'avancer dans leur combat de longue haleine contre
l'oppression des femmes en Turquie.
Via: courrierinternational.com
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