« Notre arme est le sein nu. » La phrase est extraite du manifeste du mouvement « sextrémiste » Femen, dont de larges extraits ont été cités avec gourmandise par Me Laurent Delvolvé, qui représentait le curé de l’église de la Madeleine, mercredi 15 octobre, devant la 10e chambre au palais de justice de Paris. Si le tribunal suit l’argumentation de l’avocat, les poitrines dénudées des militantes pourraient entraîner leur perte.
C’est le principe même de leurs actions qui était en procès. Manifester à moitié dévêtues, est-ce une exhibition sexuelle, ce qu’on appelait autrefois un attentat à la pudeur, donc un acte pénalement répréhensible, qui plus est quand il est commis dans une église ? L’avenir du mouvement dépend de la réponse du tribunal. L’ironie est que la militante poursuivie, Eloïse Bouton, ne fait plus partie des Femen. « J’en avais fait le tour », a-t-elle expliqué à la barre.
Les faits ne sont pas discutés. Le 20 décembre 2013, après la messe, la militante a montré ses seins dans l’église de la Madeleine à Paris. Vêtue d’un pantalon noir et d’un voile bleu, elle s’est plantée devant l’autel, a tendu les bras en croix, un foie de bœuf dans chaque main, avec sur la poitrine le slogan « 344e salope » et dans le dos « Christmas is cancelled » (« Noël est annulé »). Le voile évoquait la Vierge Marie, les foies de bœuf « le fœtus avorté du Christ ». L’action faisait partie d’une campagne internationale de dénonciation de l’opposition de l’Eglise catholique à l’avortement, à un moment où l’Espagne s’apprêtait à remettre en question ce droit.
« LA NUDITÉ POLITIQUE N’EST PAS ÉROTIQUE »
De nombreux photographes étaient présents. Des condamnations étaient venues de tous les bords politiques, et jusqu’au sommet de l’Etat. Mme Bouton le reconnaît volontiers : elle voulait choquer. « Mais nous voulions provoquer un choc politique, une prise de conscience, a-t-elle expliqué. La nudité politique n’est pas érotique. » La poitrine est « une pancarte utilisée pour véhiculer un message », a-t-elle poursuivi. Il ne devrait pas y avoir, selon elle, de différence entre celle des hommes et celle des femmes.
Dans beaucoup d’esprits, ce n’est manifestement pas le cas. Le délit d’exhibition sexuelle est constitué quand un rapport sexuel est montré, quand un geste obscène est effectué, ou quand une partie sexuelle du corps est dévoilée. « La poitrine est-elle une partie sexuelle du corps ?, a interrogé Me Delvolvé. A l’évidence, oui, puisque quand il est palpé contre la volonté de la femme, c’est une agression sexuelle. » Le contexte est important : si le fait d’être nu parmi des naturistes n’est pas choquant, l’être dans un édifice affecté au culte a un tout autre impact, selon lui. « Dans le culte catholique, il n’est pas d’usage de circuler seins nus, a ironisé l’avocat. La laïcité à la française, c’est le respect des lieux de culte. »
« L’église est un lieu public qui doit être traité comme les autres lieux publics », a répondu Me Michaël Ghnassia, avocat de la défense. Il a cité plus d’une dizaine d’actions des Femen sur la voie publique n’ayant fait l’objet d’aucune poursuite. « La poitrine dénudée est aujourd’hui assez banalisée, a argumenté Me Valentine Reberioux, l’autre avocate de la prévenue. On s’attaque à la liberté d’expression d’un individu. » Pour justifier de la restreindre, la Cour européenne des droits de l’homme exige de démontrer un « besoin social impérieux », a-t-elle rappelé. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce, selon l’avocate. Le procureur a requis trois à quatre mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende contre Mme Bouton. Le jugement sera rendu le 17 décembre.
Via: lemonde.fr
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