Avec Ukraine is not a Brothel, la réalisatrice Kitty Green se penche sur le mouvement féministe d’origine ukrainienne Femen, sur les membres qui le composent et, ironiquement, sur les forces patriarcales qui dirigent le mouvement anti-patriarcat.
En suivant les contributions et les parcours de Sasha, Inna, Alexandra, Anna et quelques autres, la réalisatrice Kitty Green – qui signe ici son premier long métrage documentaire pour le cinéma – parvient à retracer les origines du mouvement – parfois de manière un peu trop succincte – mais surtout à fouiller le côté sombre de l’organisation Femen.
On connaît le mouvement pour ses manifestations féministes anti-patriarcat, anti-corruption, contre la violence conjugale, contre la domination et stigmatisation dont sont victimes les femmes. On reconnaît le mouvement particulièrement pour sa façon de manifester : des femmes, seins nus, couronne de fleurs et rubans sur la tête, des pancartes au bout des bras, scandant des slogans dont les mots principaux sont écrits sur leur poitrine, leur dos, leurs bras.
Des coups et insultes que reçoivent ces manifestantes, en passant par l’emprisonnement et les menaces, Ukraine is not a Brothel suit quelques membres d’importance au travers manifestations et représailles, mais on y trouve aussi un mouvement utilisé par des compagnies et médias avides de jeunes et jolies femmes prêtes à se dénuder pour amasser des sous. Cependant, on y découvre des femmes jeunes et jolies, oui, mais aussi certaines forces de caractère et des militantes avides d’indépendance et de liberté, dans un pays où la corruption est légion.
Ces Femen usent de leurs charmes pour dénoncer, justement, cette stigmatisation dont elles sont constamment victimes, mais d’un autre côté, elles deviennent les instruments de l’ambition de Viktor Sviatski, un patriarche dirigeant Femen, une organisation contre le patriarcat. L’entrevue qu’il accorde à la réalisatrice australienne donne d’ailleurs plutôt froid dans le dos, alors qu’on constate qu’il manipule l’auditoire avec sa force et son aplomb et son charisme.
À maintes reprises, dans le documentaire, les Femen reçoivent des appels de Viktor, leur indiquant la marche à suivre pour la prochaine manif, ou leur affirmant son incompréhension et sa déception face à une protestation ratée. Ces jeunes femmes restent figées face à cette figure d’autorité, soumises, craintives. Le pire et le plus fâchant – pour elles et pour nous -, c’est qu’elles en sont conscientes. Une fois la conversation Skype terminée, elles hésitent, puis se confient à Green, en lançant, d’un côté, qu’il est ironique qu’un mouvement féministe soit dirigé par un homme, mais d’un autre côté, que ce mouvement ne serait pas ce qu’il est sans lui. Que retirer de ces affirmations?
Sasha, dont la famille est carrément contre sa participation au mouvement et souhaite dénoncer les agissements contrôlants de Viktor, compare la situation des filles de Femen au Syndrome de Stockholm, à celui des femmes battues, d’esclaves. Les mots sont durs mais pesés, le tout se révèle dans la crainte que Viktor l’apprenne.
Sans doute la Femen la plus intrigante du lot, Inna, elle, tente de s’émanciper du mouvement ukrainien et souhaite, au final, aller former une nouvelle branche de Femen en France. Green focalise un peu plus son documentaire sur elle et Sasha, deux des membres très importantes de Femen. Très intelligente, Inna est rapidement chargée de chapeauter des manifestations par Viktor, mais elle souhaite aussi s’émanciper du contrôle de ce dernier qui, somme toute, ne subit aucune représaille contrairement aux manifestantes. L’indépendance dont Inna est avide passera inévitablement par son départ de l’Ukraine, elle qui risque d’y être emprisonnée pour quelques années, suite à de possibles charges criminelles déposées contre elle et quelques Femen.
Kitty Green réussit à peindre un portrait qui semble juste et, surtout, réaliste, de ce mouvement fortement critiqué, mais qui, somme toute, dérange et rappelle que les luttes féministes ne sont certainement pas terminées. La présence de la caméra sur les lieux des protestations et arrestations est nécessaire et le résultat est d’un réalisme bouleversant : ces femmes se font agresser verbalement et physiquement, par le public et par les autorités, sans gêne, sans que personne d’autre que leurs avocats – qui les défendent gratuitement contre un «bel» échange de visibilité – et elles-mêmes ne leur vienne en aide. À noter, cette histoire d’enlèvement et d’agression particulièrement émouvante et bouleversante racontée par Inna, alors que quelques Femen se rendaient au Bélarus pour manifester. Il s’agit d’un véritable coup de maître de la part de Kitty Green que d’avoir pu obtenir toutes ces révélations – celles des filles et de Viktor -, au fil des semaines et mois où elle a suivi les membres du mouvement et leur entourage.
Aujourd’hui, Femen compte des branches dans plusieurs pays, dont une au Québec qui a fait les manchettes l’automne dernier, à l’Assemblée Nationale ainsi que lors de diverses manifestations pour ou contre la Charte des valeurs québécoises préparée par le Parti Québécois. Il est certes un mouvement féministe controversé, mais à l’heure où le féminisme est multiple et propose des voies d’expressions diverses, il est important de se pencher sur le mouvement Femen qui est certainement l’un des mouvements féministes les plus remarqués des dernières années.
Présentement en salle au Cinéma du Parc
Via: voir.ca
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