Seins nus, un foie de veau à la main, Eloïse Bouton fait irruption dans l’église parisienne de La Madeleine, le matin du 20 décembre dernier. Alors activiste au sein des Femen, la jeune trentenaire entend dénoncer les entraves au droit à l’IVG dans certains pays européens, comme l’Espagne. S’avançant vers l’autel, elle y dépose le foie de veau, censé représenter un fœtus. Sa poitrine porte l’inscription : «344e salope», en référence au manifeste des 343, paru en 1971 dans le Nouvel Obs.
Simple provocation, acte militant, ou exhibition sexuelle ? C’est la question que se pose désormais la justice. A la suite d’une plainte du prêtre de la paroisse, le père Bruno Horaist, Eloïse Bouton a en effet brièvement comparu devant le tribunal correctionnel de Paris, ce vendredi. Le procès a finalement été renvoyé à la mi-octobre, mais un point crucial du dossier a été soulevé : la caractérisation des faits reprochés à la militante. La jeune femme, qui a depuis quitté le mouvement Femen, est en effet poursuivie pour «exhibition sexuelle», ce qui pourrait lui valoir un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Ce délit, qui remplace ce que l’on appelait autrefois «l’outrage à la pudeur», «suppose, dit la loi, que le corps ou la partie du corps volontairement exposé à la vue d’autrui soit ou paraisse dénudé», et ce dans «un lieu accessible aux regards du public».
Elément matériel et élément moral
Un non-sens pour son avocat, Me Michaël Ghnassia, qui entend bien déposer une question prioritaire de constitutionnalité, estimant que «l’exhibition sexuelle n’est pas caractérisée». Du côté de la partie civile, on estime que la QPC «n’a rien de sérieux, et n’aura pour effet que de retarder le débat».
Pour que l’exhibition soit caractérisée, il faut un «élément matériel» ET un «élément moral». A savoir : qu’une partie du corps à caractère sexuel soit dévoilée, et que ce soit pour des intentions sexuelles. Or les Femen mettent en avant un message politique et militant. Alors, les seins sont-ils sexuels ?
La loi ne dresse pas de liste exhaustive des parties du corps à ranger dans cette catégorie. Néanmoins, pour Me Anne-Marion de Cayeux, avocate au barreau de Paris, peuvent être catégorisés ainsi «les fesses, le sexe, et les seins des femmes». Et ceux des hommes ? «Ils ne dégagent pas de charge érotique», répond l’avocate, pour qui l’imprécision dans les textes conduit la justice à «aller dans le sens du bagage culturel français». «Ce qui prime c’est la conscience d’offenser, de commettre un acte qui n’est pas dans la norme de ce que l’on considère comme convenable. On imagine assez mal une femme prendre un café seins nus en terrasse…», explique Me Anne-Marion de Cayeux.
«Blasphème déguisé»
«Est-ce que montrer sa poitrine constitue une exhibition sexuelle ?», a interrogé l’avocat d’Eloïse Bouton devant la Cour, poursuivant : «Le dernier jugement en ce sens remonte à 1965. Il serait temps de prendre en compte l’évolution des mœurs». Cette année-là, le tribunal correctionnel de Grasse avait estimé constitué le délit d’outrage à la pudeur chez une femme qui jouait seins nus au ping-pong à proximité d’une plage. «Il y aujourd’hui néanmoins une tolérance sur la plage ou dans le domaine artistique», précise Me Anne-Marion de Cayeux. «On ne va pas interdire un film à cause de scènes de nu, mais on ne laissera pas non plus tourner un film porno en pleine rue».
Sans être porno, il est un clip qui fit pourtant parler de lui, il y a cinq ans : celui de la chanson «Baby, baby, baby», du groupe Make the girl dance. La vidéo mettait en scène trois jeunes filles déambulant entièrement nues en pleine journée, rue Montorgueil, à Paris. Aucune poursuite n’avait pourtant été engagée. «On a au contraire reçu des retours positifs», se souvient Pierre Mathieu, membre du duo électro, qui précise avoir dans un premier temps consulté un avocat. «L’avocat nous avait dit que le seul risque éventuel aurait pu être pour les filles du clip, mais on nous a dit qu’on ne risquait rien, parce que ce n’était pas fait pour choquer, mais dans une démarche artistique». La police n’intervint pas.
Etrangement, alors que d’autres membres des Femen ont-elles aussi été jugées ce mercredi, pour une autre action, seins nus, à l’Eglise Notre-Dame, l’exhibition sexuelle n’avait pas été retenue. «La seule explication serait que la justice avait d’autres faits, de dégradation en l’occurrence, à leur reprocher», avance Me Ghnassia. Sa cliente évoque pour sa part un «blasphème déguisé», puisque ce délit a disparu du Code pénal français depuis juillet 1881, restant toutefois en vigueur dans le droit local en Alsace et en Moselle, où Eglise et Etat ne sont pas séparés.
«Comme d’habitude, dès qu’une femme expose ses opinions politiques, on l’accuse de maladie mentale», avance pour sa part la prévenue. Même son de cloche chez la porte-parole des Femen, Marguerite Stern, qui estime «qu’il ne s’agit tout de même pas de juger un psychopathe qui aurait montré ses parties génitales au Bois de Boulogne». «Cela pose une véritable question de société sur le corps des femmes, dans le cadre d’une action politique, avec un slogan. Dès lors qu’on est habitués à voir des seins partout, peut-on parler d’exhibition sexuelle ?»
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Via: liberation.fr
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