Mariage pour tous : réponse aux manifestants

Les manifestations dirigées contre le mariage homosexuel ont réuni quelque cent mille personnes en France samedi et dimanche 18 novembre, peut-être plus si l'on en croit les organisateurs, ce qui est un succès. Aussi bien, les sondages montrent que l'opinion est plus divisée aujourd'hui qu'elle ne l'était avant l'ouverture de la discussion, ce qui tend à prouver que les arguments des opposants à la réforme sont écoutés.

Depuis longtemps, le "Nouvel Observateur" s'est prononcé en faveur du mariage homosexuel. C'est une position réfléchie, qui ne consiste pas seulement à monter paresseusement dans le train de la modernité en stigmatisant les retardataires et les ringards. Comme toutes celles qui touchent aux institutions ancestrales de la société, l'affaire mérite un examen rationnel et approfondi. Il faut donc justifier notre position en reprenant calmement les arguments avancés, pour tenter de raisonner entre protagonistes également respectés et se prononcer en connaissance de cause.

L'instauration du "mariage pour tous" est fondée sur le principe d'égalité. Elle consiste à étendre aux homosexuels une liberté aujourd'hui réservée aux hétérosexuels. Elle repose sur l'idée qu'il faut abolir les discriminations qui pèsent depuis des temps immémoriaux sur les homosexuels, discriminations injustes et injustifiables. Ces discriminations ont été annulées les unes après les autres au fur et à mesure du progrès de la société, selon les principes en vigueur dans notre république fondée sur les droits de l'Homme. Le "mariage pour tous" est une étape supplémentaire dans cette marche vers l'émancipation. 

L'institution du mariage ne change en rien

Il faut d'abord rappeler que cette liberté nouvelle s'ajoute à celles qui existent. Elle ne retranche rien aux droits dont jouissent actuellement les hétérosexuels. Les opposants tentent de faire croire que la réforme modifiera les conditions dans lesquelles se marient aujourd'hui un homme et une femme. C'est faux. La seule nouveauté est que les termes "père et mère" dans le code civil sont remplacés par l'expression "parents" (et non "parent 1 et parent 2", comme les opposants tentent parfois de le faire croire avec une certaine mauvaise foi : l'expression ne figure pas dans le texte du projet de loi). Ce changement n'affecte pas les pères et les mères, qui sont évidemment englobés au premier chef dans le mot "parents". Il permet d'y intégrer les homosexuels, voilà tout. On remarquera d'ailleurs que, dans sa rédaction actuelle, le code civil emploie le mot "époux" autant que "mari et femme", ce qui prouve que ses rédacteurs ne redoutaient pas de désigner le couple par un mot générique, comme on le fait aujourd'hui avec le mot "parents". Pour le reste, comme on peut le constater en lisant le projet de loi, rien ne change.

Les homosexuels forment une petite minorité. Autrement dit, quand bien même il leur prendrait l'envie de tous se marier (ce qui est peu probable), l'immense majorité des mariages resteraient des mariages hétérosexuels, célébrés dans des conditions rigoureusement semblables à celles qui existent aujourd'hui. Chaque samedi, des milliers de couples composés d'un homme et d'une femme se marieront, exactement comme aujourd'hui. De temps en temps, ils croiseront, sortant de la salle des mariages, un couple d'hommes ou de femmes venant se marier eux aussi. Selon toutes probabilités, ils leur adresseront un signe amical et festif. Voilà la seule différence concrète qui les attend. Autrement dit, l'institution du mariage ne change en rien. On peut même arguer qu'elle se trouvera confortée par la réforme : elle s'étendra à une fraction plus importante de la population, ce qui élargira sa "base sociale".  

Des droits conférés à tout le monde

On dira qu'on prétend appliquer des lois semblables à des gens différents. L'argument est faible. Les droits de l'Homme, par définition, s'appliquent à des personnes très différentes. Ils sont pourtant universels, parce qu'ils prennent en compte chez des hommes et des femmes différents ce qui les rapproche, leur condition humaine, prise dans son sens général et abstrait. Il en va de même avec les homosexuels. Certes ils sont différents. Mais leurs droits découlent de leur condition humaine et non de leur situation particulière. Après la réforme, ces droits engloberont la liberté qu'ils ont de vivre ensemble et d'élever des enfants comme les autres (hors du mariage ou dans le mariage). La différence sexuelle ne saurait les priver des droits conférés à tout le monde.

Les opposants au texte font alors remarquer qu'il ne s'agit pas seulement de libertés individuelles mais aussi des intérêts généraux de la société d'une part et des intérêts des enfants de l'autre, et non seulement des droits des adultes pris comme individus. C'est tout à fait juste. Les lois doivent prendre en compte à la fois les droits individuels des personnes concernées mais aussi ceux des tiers. Elles doivent se fonder sur les intérêts des personnes mais aussi sur les intérêts légitimes de la société. C'est là qu'on arrive au coeur de la controverse. 

Le fait de cesser de discriminer les homosexuels n'en accroît pas le nombre

Commençons par éliminer les protestations archaïques. Certains croient que le mariage homosexuel menace la santé démographique du pays (puisque les homosexuels ne peuvent pas avoir d'enfant...) Serge Dassault, avec une subtilité toute relative a même déclaré qu'avec cette réforme "on en avait plus que pour dix ans". Dassault dit une bêtise issue d'un temps révolu. Le fait de cesser de discriminer les homosexuels n'en accroît pas le nombre. Le propriétaire du "Figaro" agite le spectre qu'une société composée essentiellement d'homosexuels, ce qui est ridicule et méprisant à la fois. On peut aussi lui opposer que les homosexuels, en ayant le droit de se marier, élèveront plus facilement et plus souvent des enfants, ce qui est excellent pour la démographie du pays...

D'autres affirment que l'égalité des droits conférée aux homosexuels est un symptôme de décadence. Athènes à commencé comme ça, disent-ils, de même que l'empire romain après son apogée. Affirmation tout aussi grotesque et méprisante, qui ignore de surcroît l'histoire réelle de Rome et d'Athènes. Elle suppose que les homosexuels soient moins forts, moins courageux, moins sages que les autres et donc que leur influence serait délétère pour la société. Rien dans l'Histoire ne vient corroborer cette affirmation, qui relève du préjugé homophobe, comique ou désolant. César, Alexandre, les soldats des phalanges grecques au temps de leur apogée, pratiquaient l'homosexualité (selon les moeurs de l'époque). On ne sache pas que c'étaient des personnalités pusillanimes. Louis XIII et Henri III étaient homosexuels. Ils ont pourtant maintenu la monarchie française au milieu des plus grands périls. Ces réflexions dépréciatives, qu'on entend encore aujourd'hui, montrent surtout que l'homophobie est loin d'avoir disparu en France.

Le texte du code civil ne parle pas d'amour

Arrivons aux arguments sérieux. On avance que le mariage est une institution sociale, qu'elle n'a pas pour fonction de reconnaître l'amour des uns ou des autres (les homosexuels, par exemple) mais d'organiser les unions matrimoniales en tenant compte des intérêts de la société.  L'ennui pour cette thèse, c'est que les promoteurs de la loi n'ont pas pour objectif de "faire reconnaître l'amour homosexuel" mais d'étendre à une nouvelle catégorie le bénéfice des dispositions actuelles. Le texte du code civil ne parle pas d'amour. Il stipule que "les époux se doivent respect, fidélité, secours et assistance". Autrement dit, on attribue aux homosexuels une revendication qu'ils ne présentent pas. En demandant la possibilité de se marier, ils réclament les mêmes droits que les autres. Ni plus, ni moins.

Vient alors l'argument mille fois ressassé, qui a les apparences de la force et du bon sens : "le mariage, c'est l'union d'un homme et d'une femme". Cela a toujours été ainsi, dit-on, cela doit donc le rester. Et de citer le sens commun, qui parle ainsi, les dictionnaires, qui définissent le mariage de cette manière, le code civil actuel, ou encore les codes innombrables qui ont réglé les moeurs au cours de l'histoire humaine. L'argument est purement tautologique (cela doit être ainsi parce que c'est ainsi ; c'est ainsi parce que cela a toujours été ainsi), mais il impressionne. Pourtant, la pérennité d'une institution ne lui confère pas ipso facto sa légitimité.

Les moeurs changent, les mentalités évoluent, les sociétés progressent. Les institutions peuvent être réformées. Sinon on eût jamais conféré le droit de vote aux femmes (qui sont biologiquement différentes) ni accepté le divorce ou la contraception. Les institutions doivent se justifier par le bien qu'elles procurent aux hommes et aux femmes et non par leur seule ancienneté.

S'agit-il de supprimer le mariage hétérosexuel ?

Si le mariage comme union d'une femme et d'un homme a toujours existé, poursuit-on, c'est parce qu'il structure les sociétés humaines, c'est qu'il a un caractère anthropologique, qu'il est un fondement essentiel de la vie collective. On le reconnaîtra bien volontiers : si l'union d'une femme et d'un homme n'existait pas, nous ne serions pas ici pour en parler, l'humanité aurait disparu depuis très longtemps. Mais s'agit-il de supprimer cette union? De menacer le mariage hétérosexuel ou de l'altérer fondamentalement ? En aucune manière. Encore une fois, il s'agit d'étendre le mariage aux homosexuels et non de le supprimer ou de le changer pour les hétérosexuels.

Ce qui est anthropologique (lié à la nature profonde des hommes), c'est le mariage et non son interdiction aux homosexuels. Il y a un sophisme dans cette référence à l'anthropologie. Ce n'est pas parce qu'on modifie une institution qu'on la détruit. On peut l'amender, la compléter, sans mettre en cause son existence, son utilité ou sa prédominance. La menace "anthropologique" est floue, diffuse, confuse. Elle agit comme une crainte irrationnelle, comme si on voulait agiter des périls obscurs et indéterminés pour faire peur, comme si on menaçait les réformateurs d'une sorte de châtiment divin effrayant et mystérieux.

Réformer le mariage, c'est porter atteinte "aux structures mêmes de la société", à "l'anthropologie". Mais encore ? La société risque-t-elle de s'effondrer si on crée le "mariage pour tous" ? Les mentalités en seront-elles bouleversées ? Les structures de la société soudain ruinées ? Les bases de la civilisation menacées ? Nos manières d'agir en seront-elles transformées, corrompues, dégradées ? Si tel était le cas, on devrait en percevoir les indices ou les prémisses dans les pays qui ont instauré le "mariage gay". Les Pays-Bas, l'Espagne, le Canada, sont-ils menacés d'un effondrement moral, d'une faillite anthropologique, d'une métamorphose dangereuse des principes de la vie sociale ? On sait bien que non. La vie sociale y poursuit son cours, ni meilleur ni pire qu'auparavant. Le péril énorme et indistinct qu'on invoque ne repose sur aucune base sérieuse.

La question des enfants

Reste la question des enfants, la seule qui soit un tant soit peu rationnelle. Ce n'est pas la même chose d'être élevé par une femme et un homme que par deux hommes ou deux femmes. Comme ces cas sont relativement récents, on peut s'interroger à bon droit sur l'effet psychologique de cette situation nouvelle sur les enfants concernés. Les études menées sur ce point, qui concluent en général à la neutralité du facteur homosexuel dans l'éducation des enfants, sont récusées par les opposants, soit parce qu'elles ont été initiées par des associations homosexuelles, soit parce que les échantillons sont jugés trop petits, soit parce que la période de temps étudiées est trop courte. Pourtant on ne peut les éliminer tout à fait du raisonnement : si les couples homosexuels avec enfants connaissaient des problèmes massifs et graves, les études, même biaisées, ne pourraient le dissimuler. Si les enfants ainsi élevés tournaient la plupart du temps très mal, cela se saurait. Rien de tel en l'occurrence. S'il existe des différences, elles ne sont ni spectaculaires, ni évidentes.

Facteurs multiples

Aussi bien, les facteurs qui influent sur le devenir psychologique d'un enfant sont multiples. Outre les caractères innés, qui jouent un rôle plus ou moins grand, il est probable que la bonne entente des couples, leur dévouement à leurs enfants, leur maîtrise de l'autorité ou encore le temps dont ils disposent pour l'éducation, ont une importance très grande. On ne voit pas pourquoi les couples homos, dont les enfants seraient par nature désirés, agiraient dans tous ces domaines plus mal que les couples hétéros.

L'homosexualité des parents est un élément supplémentaire dans une causalité déjà complexe. Comment lui affecter d'emblée un rôle essentiel et négatif, sinon sur la base de croyances ou de préjugés ? Certains psychanalystes mettent en avant les concepts freudiens pour récuser la réforme. Ils parlent du complexe d'Oedipe et de la nécessaire différenciation des sexes. Mais d'autres psychanalystes se servent des mêmes concepts pour approuver l'instauration du mariage gay : difficile de s'appuyer sur cette discipline pour trancher dans un sens ou dans l'autre. En fait, en l'absence de vérifications scientifiques et d'études indiscutables, nous sommes au royaume des convictions et des préjugés.

Principe de précaution ?

Les opposants invoquent alors une sorte de principe de précaution : puisque nous ignorons les effets de la réforme sur les enfants, abstenons-nous. Mais comme on ne pourra pas juger de ses effets sans la mettre en oeuvre, c'est fermer le débat avant de l'ouvrir. Sachant que les homosexuels qui se marieront et élèveront des enfants, sauf aberration toujours possible, mettront un point d'honneur à s'occuper d'eux avec amour et diligence, la société est fondée, au nom de l'égalité et du refus des préjugés traditionnels, à ouvrir ce droit nouveau. Comme elle a pris le risque, au nom de la liberté, d'accepter le divorce (qui n'est pas toujours bon pour les enfants) ou d'autoriser la procréation médicalement assistée, qui brouille la filiation dans beaucoup de cas. 

Les opposants font alors remarquer que l'adoption ou la procréation artificielle, si elles compliquent la filiation, ne la travestissent pas. L'enfant élevé par des parents au sens juridique a aussi une mère ou un père biologique qu'il ne connaît pas mais qui existe. Dans le cas de parents homosexuels, disent-ils, "on mentira aux enfants" en leur faisant croire qu'ils sont nés de deux hommes ou de deux femmes. Ce n'est en aucun cas l'intention du législateur : si l'enfant est adopté par un couple homosexuel, rien ne stipule qu'on doive dissimuler à l'enfant l'existence de parents biologiques ; s'il est conçu par des moyens d'assistance médicale, la loi sur le mariage ne prescrit en rien de lui cacher la vérité. Si mensonge il y a, il sera de la seule responsabilité des parents, comme aujourd'hui dans les couples hétérosexuels. Et si ce mensonge est néfaste au développement de l'enfant, pourquoi les couples homosexuels le pratiqueraient-ils ?

Au vrai, les promoteurs de la réforme ne veulent en aucun cas "ébranler l'institution familiale", contredire "les principes de l'anthropologie" ni sacrifier les enfants au désir individuel des nouveaux parents. Ils pensent qu'une société où l'on traitera les couples homosexuels comme les autres couples sera plus juste, plus égale en droit, plus conforme à la philosophie des droits de l'Homme et aux principes républicains. Ils pensent qu'une société où les homosexuels auront les mêmes droits que les autres, y compris le droit à l'indifférence, où ils pourront vivre leur particularité sans être mis à part, sera plus avancée, plus humaine, plus civilisée que les autres.

Via: tempsreel.nouvelobs.com


Short link: [Facebook] [Twitter] [Email] Copy - http://whoel.se/~nwQ26$1t7

This entry was posted in FR and tagged on by .

About FEMEN

The mission of the "FEMEN" movement is to create the most favourable conditions for the young women to join up into a social group with the general idea of the mutual support and social responsibility, helping to reveal the talents of each member of the movement.

Leave a Reply