Premiers pas de FEMEN Egypte

Pour accéder à la vidéo sur YouTube, il faut jurer sur l'honneur d'avoir l'âge légal de regarder des femmes nues. 

Nues, les femmes le sont en effet dans cette vidéo. Pas vulgaires comme celles qui apparaissent inopinément dans des publicités pop-up invitant à discuter sur des forums aux thèmes explicites (« J'aime le sexe, et toi ? »), ni lascives comme les photoshopées des panneaux JC Decaux, larges comme le flanc d'un bus ou d'un petit immeuble, et dont personne n'a l'air de penser qu'il est nécessaire d'avoir un certain âge pour les regarder défiler en ville, elles. 

Mais dans cette vidéo, trois filles sont nues, c'est indéniable. Le montage est court et silencieux, il s'agit d'un happening politique, il faut aller à l'essentiel. Ca se passe à Stockholm, devant un bâtiment en pierre de taille, gris comme le reste de la capitale suédoise en décembre. C'est l'immeuble qu'occupe l'ambassade d'Egypte. La vidéo montre le lancement du groupe Femen Egypte, depuis la Suède pour des raisons qui, si elles ne vous paraissent pas évidentes, seront développées plus tard. 

La chef de bande, c'est la blogueuse et militante Aliaa Magda el-Mahdy. 

Aliaa est un peu énervante, avec son gloss rose framboise, ses lunettes de première de la classe à fine monture bordeaux et sa couronne de fleurs en plastique dans les cheveux. A choisir, dans le rôle de l'amazone cairote en exil, on aurait penché en faveur d'une trentenaire au regard aiguisé, du genre à blasphémer dans une mosquée avec la nonchalance d'une Pussy Riot.

En attendant, c'est la petiote, moins expérimentée que ses copines suédoises, qu'on voit défaire les boutons de son improbable trench-coat quand les deux autres ont déjà balancé, expertes, leurs doudounes dézippées sur le trottoir – et du même mouvement, placé une pancarte « No religion » devant leurs pubis. Pendant deux secondes, et c'est long deux secondes quand on fait quelque chose à la fois d'illégal, d'impudique et de contraire aux normes tacites de son pays devant une pelletée de photographes, Aliaa s'emmêle entre les boutons rebelles du trench jaune et noir, le drapeau de l'Egypte qu'elle tient d'une main et qu'il ne faudrait pas lâcher, et bien sûr, le panneau « Coran » à placer là où il faut pour compléter le slogan inscrit sur sa poitrine avec cette peinture qui ressemble à du rouge à lèvres :

« Sharia is not a constitution ». 

Des détracteurs, elle en a des poignées, Aliaa, vingt-et-un ans, dont les bas en dentelle sont devenus en un an plus célèbres que son nom de famille. « Elle ne veut pas faire passer un message politique, elle a envie de faire parler d'elle. C'est une égocentrique ! ». « A quoi ça sert d'être nue pour parler de la Constitution ? C'est une exhibitionniste ! ». 

Moi aussi, j'aimerais vivre dans un monde où les femmes n'ont pas besoin d'être nues pour se faire remarquer et entendre, et quand ce sera le cas, quand la moitié des parlements et des gouvernements seront occupés par des femmes, et que la moitié des PDG des entreprises les plus rentables de la planète seront des femmes, ainsi que la moitié des chefs d'Etat, la moitié des rédacteurs en chef des plus grands journaux et la moitié des réalisateurs de la sélection cannoise, quand sur les bus on verra des hommes en tenue d'Adam se trémousser, fiers d'être juste beaux, pour vendre une eau de toilette, alors seulement, on pourra dire aux militantes de Femen s'il en reste : « Hé, les cocottes, c'est fini le temps où on devait se déshabiller pour exister, passez à autre chose ».

Malheureusement, nous sommes en 2013, l'équivalent de la préhistoire du féminisme, et en 2013, se déshabiller en public est encore une forme d'activisme féministe parfaitement banal. D'ailleurs, depuis quand est-il exigé d'être original en matière de militantisme politique ? Les militants politiques, en général, adoptent les méthodes les plus susceptibles de faire parler de leur mouvement. La renommée aidant, les médias frisent de l'oeil sur votre passage et les gens vous écoutent. C'est normal. 

Pour l'instant, Aliaa, les gens ne l'écoutent pas trop, mais ils la voient, ils la reconnaissent même, c'est un début. En Egypte, les autorités trépignent, elles ont déjà menacé de lui retirer son passeport, c'est pourquoi Aliaa vit aujourd'hui en Suède. Ca fait cher payé l'égocentrisme exhibitionniste, de perdre sa nationalité, ce n'est pas gratuit, pour Aliaa, pas sans conséquence, d'apparaître nue devant l'ambassade d'Egypte un drapeau à la main, et contre la charia, et contre la constitution. Aliaa affirme à raison que si elle revenait dans son pays, il lui arriverait des misères. C'est écrit sur son blog et tout le monde la croit, elle risque une peine de prison, et peut-être pire.

Aliaa est un peu énervante, c'est vrai, elle avait déjà fait le coup il y a un an, en mettant en ligne sur son blog un autoportrait nu, et déjà certains se demandaient « A quoi bon ? ».

C'est à la fin de la première minute qu'il faut faire « Pause » sur la vidéo, quand elle soulève le drapeau de son pays au-dessus de sa tête et montre son sexe de près, ce que les deux autres, les chevronnées de la Femenitude, ne font pas. A ce moment là, ce n'est pas son sexe qu'il faut regarder, mais ses yeux, car dans son regard traverse une lueur folle : la fierté, la jouissance d'être là à faire ce qu'elle fait, à dire « Je vous emmerde cordialement, bonsoir ».

Juste après, on la voit glousser dans un couloir avec sa collègue blonde. Aliaa s'exclame « I think this was extreme ! » avec un rire qui ondule haut, et elle est un peu énervante Aliaa parce qu'elle tient si peu d'une amazone, elle n'a ni le front intelligent de Rosa Luxemburg ni même la détermination contagieuse de Rosa Parks – pour tout dire, elle n'a même pas l'air vraiment sympa. Il lui manque plein de choses à Aliaa, c'est sûr, et peut-être même qu'au fond, elle a surtout envie de faire parler d'elle, mais mince, elle a du cran, cette fille.  

http://www.youtube.com/watch?v=i1k28ys2htwfeature=player_embedded

Via: blogs.mediapart.fr


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