Deux activistes des Femen ont débarqué mardi 2 juin à Rabat pour une action seins nus sur la très symbolique esplanade de la tour Hassan. Le poing levé, c’est en se donnant en spectacle dans un baiser « intersexe » que ces deux activistes ont entendu manifester leur solidarité avec le groupe LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) au Maroc. Cette petite escapade en « terre d’Arabie » qui marque la première venue des Femen au Maroc a été interprété par certaines féministes progressistes et par certains militants LGBT comme un geste fort censé venir éclairer nos sociétés archaïques et sauver nos mentalités dégénérées par l’homophobie et le patriarcat arabe.
Pourtant, ce qu’expriment les actions éclair des Femen qui « font le buzz » n’est rien d’autre qu’un mépris envers toutes les femmes qui luttent depuis des années au sein de la société marocaine. C’est de ces femmes-là que l’on devrait normalement parler. Celles qui militent au grand jour, mais aussi celles qui décident de lutter dans l’ombre, celles qui refusent même, parfois, de se définir féministes mais qui sont de fait des femmes qui se battent au quotidien dans la société marocaine.
Il serait bon de rappeler aux quelques défenseurs marocains des actions des Femen que ce groupe d’activistes n’est en rien représentatif de la cause féministe. Il en est même la manifestation la plus dévoyée et la plus odieuse. D’ailleurs, de nombreuses féministes, y compris occidentales, dénoncent le caractère islamophobe et impérialiste de leurs actions. Deux critiques majeures sont à retenir. Premièrement, ce groupe d’activistes instrumentalise le corps des femmes en exhibant des plastiques qui répondent complaisamment et en tous points aux standards imposés par les canons de beautés eurocentrés. Deuxièmement, en imposant leurs agendas politiques sans concertation ni même prise en compte des stratégies internes et propres aux dynamiques des différentes luttes existantes au Maroc, elles participent à monopoliser et à façonner un débat déconnecté des réalités locales.
Si les critiques fusent à l’encontre des Femen, c’est bien parce que bon nombre de féministes s’insurgent de la direction qu’elles font prendre à la cause des femmes en général. Ces critiques ne sont pas l’expression d’un archaïsme ; elles témoignent en réalité de l’effervescence des féminismes qui s’inventent et se pratiquent de par le monde. Aujourd’hui, un feminism of color existe, de même qu’un « féminisme islamique », et bon nombre de féministes du Nord dénoncent elles aussi le racisme structurel induit par ce type de discours qui infériorise, au nom de la liberté des femmes, les sociétés post-colonisées. En créant l’image d’une communauté musulmane minée par le « patriarcat arabe », les Femen produisent un discours qui réduit les rapports de force à une sorte de pathologie culturelle.
Plus grave encore, en imposant un discours essentialisant, les Femen tentent également d’imposer des pratiques de résistance. Avec leur guide de bonnes pratiques militantes, elles ne font que reproduire un discours paternaliste tout à fait insupportable à toute personne qui entend s’inscrire dans une lutte pour l’émancipation. Les actions paternalistes, de type Femen, qui bénéficient, usent, et abusent du white privilege (privilège blanc) ne peuvent qu’engendrer des dégâts néfastes à toute possibilité d’instauration d’un dialogue social autour de questions aussi épineuses que celle de la dépénalisation des pratiques sexuelles — en particulier homosexuelles —, au Maroc. En effet, ce type d’action qui instrumentalise la question des libertés individuelles participe à dépolitiser les questions sociales, notamment en refusant de pointer les causes politico-structurelles à l’œuvre dans la criminalisation des mœurs, au profit d’un mépris sociétal et d’un discours pathogène.
Toutefois, en dépit de tous les efforts déployés par des groupes assimilés à l’hégémonie occidentale, une alternative s’organise. Il est important de savoir qu’existe une pluralité de voix issues des sociétés post-colonisées, qui dialoguent et essaient de trouver leur propre voie d’autonomie. Elles donnent du courage, car bon nombre de défenseurs du féminisme « va-t-en-guerre » pensent que tout ce qui ne répond pas aux critères érigés par un féminisme eurocentré est une offense à la cause des femmes et une défense du patriarcat. Et ils sont nombreux et surtout ils (ou elles) sont ceux qui ont le pouvoir, tant médiatique que politique.
À ces critiques, il faut simplement oser dire non !
Il faut oser dire, que nous, femmes marocaines, nous ne voulons plus être le bras droit d’un féminisme qui se veut prétexte à une réduction de l’homme arabe au patriarcat.
Il faut oser affirmer que ce type de féminisme laïcard, éradicateur, exprime non seulement un mépris de classe repris par certaines de nos élites progressistes, mais surtout qu’il infériorise notre culture en niant totalement les expressions complexes et diverses des résistances des femmes qui s’expriment et se pratiquent constamment dans le quotidien marocain.
Il est temps d’oser affirmer que nous avons le pouvoir et le devoir de ne pas vouloir que la cause des femmes soit le prétexte à des discours impérialistes, directement empruntés aux discours coloniaux. Des discours utilisés pour justifier les interventions étrangères et les politiques islamophobes qui affectent négativement toute la diaspora maghrébine en Europe.
Et, pour ce qui est de notre émancipation, que les féministes du Nord cessent de s’inquiéter : on s’en charge !
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