Safia Lebdi, le renouveau féministe?

Cela fait presque 10 ans que Safia s’est «libérée». A 39 ans, l’insoumise a fait du chemin. Conseillère régionale Europe-Écologie les Verts en Ile-de-France, elle est aussi co-fondatrice de l’antenne française des FEMEN, ce mouvement ukrainien ultra-médiatisé que l’on annonce comme la 4ème vague du féminisme. Présente au débat sur un possible renouveau de ce dernier au Forum Libération de Grenoble, elle sème le doute quant à cette arrivée messianique des FEMEN sur la scène du combat pour l’égalité des droits.

Sous les projecteurs, Safia pétille. Son franc parler et son humour lui permettent de tout dire. Pour elle, la religiosité, qui ne met pas hommes et femmes à la même enseigne, et la mondialisation, dans sa facette marchande, ont fait alliance pour aliéner le genre féminin. Ils sont son axe malin. Ce qu’elle désire, c’est l’égalité des droits «à toutes les échelles».

Pour ce faire, et après avoir été ni pute ni soumise, elle s’est engagée avec les FEMEN, ce mouvement illustré par des ukrainiennes qui ont fait tomber le haut pour attirer l’attention des médias. «Elles sont ce qu’elles sont, malgré elles : des sortes de barbies, blondes et minces. Moi je ne les trouve pas belles, elles sont toutes pareilles…ça fait presque peur». Si la blondeur n’est pas son point commun avec ses consoeurs de l’Est, Safia se considère venue du même milieu, un milieu «populaire», ou le combat féministe n’a fait son entrée que récemment.

Safia Lebdi à la MC2 Grenoble, le 2 février 2013. Photo Nathalie Moga

«Le féminisme était réservé aux femmes lettrées ; dans mon milieu, on ne lisait pas Simone de Beauvoir. Nous, nous l’avons introduit dans ces couches sociales. Et se mettre à nu, c’est ce qu’on peut y faire de plus fort. La nudité est quelque chose de très bourgeois, vous croyez que l’on voit ça chez nous ? C’est une manière de mettre un grand coup, d’aller à l’encontre des limites que l’on nous impose». Pourtant, si Safia milite contre la marchandisation du corps féminin, et si sa démarche en tant que femme issue de l’immigration maghrébine est courageuse, elle fait dans la contradiction.

Sur le site des FEMEN, entre l’image d’une femme seins nus brandissant une paire de testicules fraîchement coupée à la faux et la section «merchandising» ou des t-shirts aux logo de l’organisation se vendent jusqu’à 100 euros pièce, il faut chercher le message. D’autant plus qu’à la une des journaux, ce sont les FEMEN les plus en phase avec les codes des magazines féminins qui apparaissent. Elle «avoue» le fait, mais ne sait pas l’expliquer : «c’est une manière d’attirer l’attention. Se mettre en avant comme ça, c’est le truc de la nouvelle génération. Moi je ne taperais jamais la pose. A mon époque c’était différent, il fallait se faire entendre, tout passait par la parole. Aujourd’hui il y a Facebook, il y a le nombre de likes…»

Les images s’imposent, éludant le cri progressiste, étouffant le message. Tout ce qu’il reste, ce sont des slogans, marqués à même le buste ; le panneau humain et féminin semblant être le meilleur moyen d’accrocher les regards. Une volonté d’utiliser des codes qui asservissent, pour se mieux se révolter.

Chez les femmes qui critiquent cette nudité militante, comme ses sœurs de combat d’Osez le féminisme, Safia décèle un complexe, peut-être l’influence de cette image «irréelle de la femme sur papier glacé», laveuse de cerveau. «Moi je sais pourquoi elles disent qu’elles ne se mettraient pas nues, elles ont un problème avec leur corps ! Se mettre à poil, au début c’est dur… mais au final c’est tellement fort, il n’y a rien de plus libérateur. Ça nous renvoie à nous-même ; tant pis pour les rondeurs et les imperfections».


Entretien avec Safia Lebdi«Les FEMEN, c’est un féminisme populaire» 

Avez-vous toujours refusé les diktats ?

Je viens d’un milieu populaire, d’une famille tout à fait classique. Plus jeune, je me suis rendu compte que je vivais dans un monde d’hommes, et qu’il y avait des choses que je ne pouvais pas faire parce que j’étais une femme. Quand j’en ai pris conscience, j’ai cherché à me «libérer». J’y suis parvenue, mais ce fut un long travail, une bataille idéologique, familiale… c’est à 28 ans que j’y ai enfin réussi.

Quand avez-vous commencé à vous engager ?

J’ai commencé à «la maison des potes», j’avais 15 ans. Je suis de la génération qui a suivie la marche des beurs, et j’ai bénéficié de cet élan d’activisme de l’époque. Mais le féminisme «populaire» n’existait pas à ce moment là. Nous avons lancé les premiers combats dans ce créneau, avec Ni putes, Ni soumises.

Avant cela, c’était des femmes lettrées qui avaient accès au féminisme. Simone de Beauvoir, dans mon milieu social, on ne la lisait pas. Il fallait conscientiser les femmes des milieux populaires, ça a été notre démarche et c’est ce qui nous rapproche, justement, des FEMEN Ukrainiennes : elles viennent du même milieu que nous.

Que répondez-vous à ceux qui voient un message contradictoire entre votre combat contre la marchandisation du corps de la femme, et votre nudité affichée pour militer ?

Les femmes qui disent que ça ne sert à rien et qu’elles ne le feraient pas, c’est parce qu’elles ont un problème avec leur image. Pour moi aussi ça a été dur au début. Mais c’est tellement libérateur de se mettre à poil ! C’est tellement fort… ça nous renvoi à notre corps.

C’est à l’antithèse de ce que nous fait subir la mondialisation, avec cette image de la femme sur papier glacé, complètement irréelle. Ici on parle de combat, on reprend le pouvoir, tant pis pour les rondeurs et les imperfections.

Pourtant, les images les plus vues, en une des journaux, sont celles de FEMEN qui répondent aux codes des magazines…

Les Ukrainiennes, elles sont ce qu’elles sont. Ce sont des barbies malgré elles. Blondes et minces, elles se ressemblent toutes ! Moi personnellement, je ne poserais jamais pour les magazines. Se mettre ainsi en scène, c’est le truc de la nouvelle génération. Avoir un maximum de like sur facebook, etc. C’est un moyen d’acquérir de la reconnaissance. Nous, ça se passait plus par la prise de parole ; c’était l’ère d’avant internet.

Aujourd’hui, le réseau permet d’exister, de se montrer. Mais ce qui nous intéresse avant tout, c’est l’action, et plus nous avons de la visibilité, mieux c’est. Les médias sont notre ruban sanitaire, ils sont toujours là avant la police. Ils nous protègent, et sans eux ont auraient déjà pu être agressées ou violées lors de nos performances.

Via: liberation.fr


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