Neda Topaloski est régulièrement réveillée la nuit par des textos d’insultes et de menaces. «Je n’arrive pas à croire que je fais peur à ce point-là avec mes seins», s’exclame la jeune Montréalaise de 29 ans. Sans filtre, elle a révélé au Journal comment elle est devenue l’activiste Femen la plus visible au Québec après ses coups d’éclat au Grand Prix et à l’Assemblée nationale pendant un point de presse d’Hélène David.
Comment devient-on une activiste Femen à Montréal?
Il suffit de communiquer avec Femen Canada. Ensuite, c’est graduel. Une fille qui est intéressée par le mouvement ne va pas nécessairement manifester seins nus demain matin. Il y a tout l’aspect logistique dans lequel elle peut s’impliquer. On est une dizaine au total, dont cinq ou six activistes topless. Au début, je ne voulais pas montrer mes seins. Je me disais: j’ai peur que les hommes me jugent, je me trouve grosse, je ne suis pas belle. En m’écoutant, je me suis dit: voyons donc! Deux minutes avant de rencontrer les autres Femen pour la première fois, j’ai réalisé que les raisons pour lesquelles je ne voulais pas enlever mon chandail étaient exactement les raisons pour lesquelles je devais l’enlever.
Es-tu moins complexée qu’avant?
Tout à fait. Femen, c’est une libération personnelle. La première fois que j’ai enlevé mon chandail en public, j’ai réalisé que ce qui mérite d’être observé et critiqué, ce n’est pas mon corps, mais la réaction des gens. J’ai pu lever le nez de mon nombril et arrêter de regarder la graisse. Et je me suis rendu compte de l’injustice que c’était d’avoir été forcée à me regarder tout ce temps-là.
D’où te venait le désir de devenir Femen?
J’ai toujours été sensible au fait que je n’étais pas un gars. Quand j’étais jeune, j’ai fait du ballet, mais j’aurais voulu faire de la boxe. Dans ma famille, c’était les filles qui faisaient la vaisselle, alors que les gars finissaient leur verre. J’ai toujours été très réfractaire à ça.
Te souviens-tu du jour où tu as pris la décision d’embarquer?
Je regardais les vidéos du mouvement en Ukraine et je trouvais ça vraiment intéressant et très drôle. Et à force de regarder, ça a touché une corde sensible en moi. J’ai vu à quel point elles criaient fort, tout le temps. Je n’avais jamais vu ça, des femmes aussi déterminées. Et tellement fâchées. Jamais, même pas avec les héroïnes de roman. Et j’ai un baccalauréat en littérature.
Que veux-tu faire à l’avenir?
En ce moment, je suis serveuse dans un café et un restaurant. C’est une excellente manière de gagner ma vie tout en ayant assez de temps pour faire autre chose. Que ce soit par des actions ou par l’écriture, je veux changer le monde pour que les femmes se fassent moins violer, battre et exciser. Ce que je fais dans Femen, c’est au cœur de ma vie et de ce que je veux être.
Tu es née à Belgrade, en Serbie, et tu es arrivée au Québec à l’âge de 12 ans. Penses-tu qu’il y a une sensibilité au mouvement Femen qui te vient de ton origine d’Europe de l’Est?
Non, je ne pense pas. La preuve, c’est que c’est un mouvement international aujourd’hui. Je suis Québécoise, j’ai grandi ici. Mes repères culturels sont ici. J’ai beaucoup plus en commun avec le Québec qu’avec la Serbie.
Pourquoi manifester seins nus?
On utilise nos corps pour les sortir de la dynamique de l’exploitation sexuelle. Ce ne sont pas les seins qui choquent. Des seins, on en voit partout. À la télé, dans la pornographie, sur internet. Ce qui ne passe pas, c’est quand le corps féminin est utilisé dans les termes de la femme pour parler d’elle-même. Et pas comme un objet de désir. Pas comme porte-parole pour une industrie. On reprend aussi des codes esthétiques: les jupes, les talons. Pour montrer que c’est la même fille que celle que tu crois posséder qui se retourne contre toi. C’est notre outil pour dénoncer aussi les mesures antiavortement et le patriarcat, tout ce qui contrôle le corps des femmes.
Quels risques cours-tu en prenant part à ces manifestations?
D’être victime de violence. Les manifestations Femen ont vraiment le don de dévoiler la violence des gens et d’un système. Si tu voyais les messages textes qui viennent de numéros vraiment weird, que je reçois au milieu de la nuit, de gens qui disent qu’ils vont me violer et qui m’expliquent comment. Je reçois des lettres d’insultes. Et maintenant, il y a des accusations criminelles de méfait et d’action indécente qui pèsent contre moi à cause de notre action au Grand Prix, le 4 juin dernier.
Quelle action a été la plus dure pour toi?
La dernière, celle du Grand Prix. Et de loin. Il y a un agent de sécurité qui m’a lancée par terre, je suis tombée de tout mon long. On m’a tirée par les pieds sur le trottoir. Ça a éraflé tout le devant de mon corps. Après, un autre a pilé sur mes cheveux et celui qui me tenait à l’autre bout a tiré tellement fort que j’ai perdu une énorme touffe de cheveux. Après, j’avais des écorchures et du sang séché à l’intérieur de mes collants. J’étais couverte de bleus, tout faisait mal. Je te dirais que c’est une des choses qui montrent la nécessité de nos manifestations: la violence avec laquelle on nous répond. Et c’est à cause de ça qu’on se radicalise comme activistes aussi.
Tu ne t’attendais pas à ce que ce soit aussi rude?
Non. Manifester, ce n’est pas criminel. Il n’y a rien qui mérite de la violence à ce point-là. Ce à quoi je m’attendais, c’est un débat. Je m’attendais à ce que la sécurité essaie de faire en sorte qu’on s’en aille. Mais je ne m’attendais pas à me faire battre. Je ne m’attendais pas à ce qu’un gars dise qu’un char vaut plus qu’un être humain. Je n’en reviens pas qu’ils veuillent à tout prix se protéger d’une paire de boules, au Grand Prix. Alors que toute la rue Crescent était remplie de filles qu’on paie pour être des objets sexuels.
Que pense ton entourage de tes actions Femen?
Mes amis comprennent très bien mes idées, mais il y a toujours un scepticisme à la base. Quand j’ai commencé, c’était plus ou moins une joke pour plusieurs d’entre eux. Du genre: «Neda fait ça, c’est drôle». Puis à un moment donné, à force de le faire encore et encore, ils finissent par dire «okay, ce n’est pas anodin».
Qu’en pensent tes parents?
Ils ne sont vraiment pas d’accord. En fait, ils haïssent ça. C’est le fun pour personne de voir sa propre fille se faire violenter ou insulter. Pour eux, c’est difficile d’en venir au débat politique quand tout ce qu’ils voient, c’est leur enfant qui se fait maltraiter. Ils me demandent: «Pourquoi toi?» Mais pour moi, c’est simple. Il y a des filles qui se font ramasser à 12 ans et qui sont mises en vente dans un réseau de prostitution. Parce que si je ne le fais pas, qui va le faire? Tant que je n’ai pas la garantie que pour un sujet super important, il y aura quelqu’un qui va venir dire un gros fuck you de la part des femmes à la société qui nous utilise, je ne pourrai pas dormir tranquille.
Es-tu en couple?
Oui, j’ai une blonde et elle m’appuie. Il y a des filles tant hétéros que bisexuelles et lesbiennes dans le mouvement. Mais en même temps, notre sexualité n’a rien à voir avec le combat. On est juste une gang de filles qui veulent changer la condition des femmes.
As-tu peur avant une action?
Je suis stressée, mais de moins en moins. Avant une action, on passe plusieurs heures ensemble pour terminer l’organisation et pour qu’il y ait une communion de groupe. Mais je n’ai pas peur de me faire mal. Ce dont j’ai peur, c’est de ne pas arriver à me rendre sur les lieux, parce que quelqu’un m’aurait reconnue avant. Mais on est bien préparées. Par exemple, on s’entraîne à crier. Dans le fond, c’est une pièce de théâtre dans laquelle la police, les agents de sécurité et le public sont comme des acteurs involontaires. C’est tragique, mais ils jouent leur rôle à la perfection.
Comment prends-tu les accusations criminelles de méfait et d’action indécente qui pèsent contre toi?
J’ai vraiment hâte d’aller en débattre en cour. Parce qu’«action indécente», personne ne peut m’expliquer c’est quoi. Le but d’afficher nos seins, c’est justement de les sortir d’un contexte sexuel. On m’a dit: «Oui, mais tu criais et il y avait des enfants». Donc pour bien résumer, un gars qui va à la piscine en maillot et qui crie avec ses amis, s’il y a des enfants dans la piscine, c’est une action indécente? Ce sont les mêmes critères. Tu cries à des enfants et tu as des mamelons! Et puis on n’est jamais violentes. On fait de la résistance, mais elle est toujours passive. Quand je pense que c’est presque impossible de faire arrêter un proxénète, et moi, j’ai passé 24 heures en prison et je risque d’y retourner pour avoir manifesté.
Quelles sont les choses les plus blessantes qu’on t’a dites?
Quand les enquêteurs m’ont interrogée, après le Grand Prix. Ils ont dit «On a vu toute ta petite culotte». Ils m’ont dit que je me comportais comme une prostituée. Que je m’étais masturbée sur scène, devant des enfants. Tout ça étant absolument faux, évidemment. Quinze minutes de pure torture. C’était dégueulasse.
Les plus belles choses qu’on t’a dites?
Des femmes qui nous écrivent pour nous dire merci et nous dire que ce qu’on fait est nécessaire.
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