Arrière, tartufes ! Ces derniers temps, le sein se porte haut, fer et surtout... dévoilé. La tendance est au nude extrême. Le corps nu s'expose comme une oeuvre, s'affirme comme la manière la plus sincère d'être au monde, s'impose comme l'étendard ultime de la contestation. Il y a d'abord Lady Gaga, la papesse pop, qui s'affichera nue en janvier prochain dans "Vanity Fair", athlétique et la nuque renversée, offerte mais toute puissante devant l'objectif de la photographe des stars Annie Leibovitz.
Il y a ensuite l'Egyptienne Aliaa Elmahdy la nouvelle scandaleuse, qui pose déshabillée sur son blog, mi-provocante mi-naturelle, en femme à la sexualité assumée. Ou enfin l'artiste chinois Ai Weiwei qui, sur un cliché, se met en scène en tenue d'Adam, entouré de quatre demoiselles dévêtues. Mais pourquoi diable tombent-ils tous la chemise ? Que signifie se mettre ainsi à nu ?
Accrocher le regard
"Pour se faire entendre, il faut se faire voir. Or le nu, d'autant plus quand il n'est pas esthétisé, interpelle toujours", note la sociologue Francine Barthe-Deloisy (1). Lady Gaga, qui n'en est plus à une excentricité près, éprouve le stade ultime du costume : le rien, si ce n'est le soyeux de sa peau. Inutile de chercher autre chose dans la démarche de la chanteuse. En Occident, le nu est festif narquois, même plus si provoc. Pas de quoi fouetter un chat, juste accrocher le regard. Effet plus garanti qu'avec n'importe quelle robe fendue ! En 2008, le tout nouveau magazine "Causette", féminin féministe, optait pour une première une gentiment gonflée en détournant un cliché connu de Mai-68 : en lieu et place d'un Cohn-Bendit hilare devant un CRS, Lénie Cherino, jeune comédienne, y souriait, tous seins dehors. "On était plus dans l'espièglerie que dans la provocation hyper engagée, se souvient-elle. C'était un sein décomplexé, celui d'une femme d'aujourd'hui, joyeuse et à l'aise avec sa nudité." Dans un de ses éditos, le journal a même osé la devise : "Quand la parole est aux bas du front, je dégaine mes tétons" !
Entre séduction et repoussoir
Pas un mince défi dans des sociétés plus patriarcales. Quand Aliaa l'Egyptienne expose ses attributs sur le Net, elle fait preuve d'un vrai courage. Elle porte des bas à gros pois noirs et des ballerines rouges, a piqué une fleur écarlate dans ses cheveux. "Elle n'est pas nue mais déshabillée or, en art, c'est le déshabillé qui crée le scandale car il évoque la liberté sexuelle, note Thomas Schlesser, historien de l'art (2). Le scandale naît aussi quand le spectateur ne parvient pas bien à décrypter l'image. C'est le cas avec Aliaa : elle porte du rouge, la couleur stimulante par excellence ; en même temps, elle ne sourit pas et son regard est neutre. Elle oscille entre séduction et repoussoir. Olympia, la demi-mondaine de Manet, avait choqué pour la même raison." Aliaa s'est ainsi attiré les foudres des ultras égyptiens, et aussi bien des encouragements : bien que pudiquement dissimulées derrière une banderole, des dizaines d'Israéliennes ont posé dévêtues par solidarité et en faveur du droit des femmes à disposer d'elles-mêmes.
Déstabiliser l'adversaire
Un combat qui, depuis 2008, anime aussi les Femen, pasionarias ukrainiennes désormais célèbres pour leurs coups d'éclats topless. Seins nus, longs cheveux blonds couronnés de fleurs multicolores, ces activistes se sont fait connaître en France en manifestant cet automne devant le domicile parisien de DSK. Leur objectif ? Dénoncer la prostitution en jouant avec le cliché de la jolie femme de l'Est, chair à plaisir. Mais aussi se battre pour la liberté politique, encore fragile dans les pays de l'ex-bloc soviétique. "Ce phénomène consistant à se dénuder prend place dans des pays en transition après des périodes autoritaires. Il accompagne naturellement le mouvement vers la démocratie", analyse Marilyn Yalom, historienne (3).
La photo de l'artiste Ai Weiwei, comiquement intitulée "Un tigre et huit seins", a été qualifiée de "pornographique" par le régime de Pékin. D'autres Chinois plus libéraux lui ont, eux, emboîté le pas en posant nus dans des mises en scène plus ou moins farfelues : en rang d'oignons dans une parodie de photo de classe, ou en cage. Opposer son sein à l'autoritarisme, c'est aussi se montrer vulnérable, fragile comme un enfant et, ainsi, déstabiliser l'adversaire. La Commune de Paris a commencé quand des femmes de Montmartre se sont dépoitraillées devant des gardes versaillais qui ont fraternisé avec elles.
Comme un abandon
"Se mettre nu, c'est montrer que l'on n'a pas d'arme, que l'on est innocent et inoffensif", poursuit Thomas Schlesser. Le capitalisme vous dépouille ? Faites-le vous-même ! C'est l'autre bonne raison de jeter ses frusques aux orties. En marge du mouvement Occupy Wall Street, des rigolos ont imaginé une variante du bon vieux strip poker, la version "à poil les pauvres" : moins chaudement couverts que les nantis, les plus démunis se retrouvent plus vite les fesses à l'air. Se mettre nu, c'est se débarrasser de ses oripeaux, ce qui n'est pas forcément pour déplaire à qui en fait l'expérience. Ainsi Valérie Abécassis, journaliste de mode à "Elle", a posé dénudée au milieu de 1 200 hommes, femmes et enfants, pour les besoins d'une performance du photographe Spencer Tunick, le spécialiste des photos de nu collectif aux quatre coins du monde. "C'était dans la mer Morte, quel grand kif !, raconte-t-elle. Plus de vêtements, plus de marques : on n'était plus dans les apparences, c'était tellement libérateur, comme un abandon." Une mise à nu, en somme. Le message écologiste n'est pas loin. Etre nu, c'est revenir à l'état de nature. Au plus simple appareil.
Cécile Deffontaines et Elodie Lepage - Le Nouvel Observateur
(Article paru dans le numéro du 22 décembre 2011)
(1) "Géographie de la nudité, être nu quelque part", éditions Bréal, 2003
(2) "Une histoire indiscrète du nu féminin", Beaux Arts éditions, 2010
(3) "Le Sein, une histoire", Galaade éditions, 2010 pour la traduction française
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