Jusqu’à six mois de prison ferme pour outrage… C’est la peine qu’encourent trois militantes Femen européennes – deux Françaises et une Allemande – pour avoir montré leurs seins mercredi 29 mai, à Tunis, lors de leur première action topless dans le monde arabe. Marguerite, Pauline et Joséphine se sont rendues à Tunis pour réclamer la libération d’une militante féministe, Amina Tyler, et souhaitaient, par le biais d’un happening dont elles ont le secret, dénoncer la condition de la femme en Tunisie. Présente sur place, la journaliste Lilia Blaise témoigne :
“Tout s’est passé très vite, j’ai vu les trois filles arriver et se dénuder en criant ‘Free Amina’ devant une foule interloquée. Il y avait du monde, car le tribunal est très fréquenté le matin et les alentours sont bordés de café. Il y a eu un moment d’accalmie car personne ne savait ce qu’il se passait sauf les journalistes qui se sont rués vers elles. Puis les gens ont commencé à se regrouper. A ce moment là, l’impression dominante, c’est que personne ne comprenait ce qui se passait, donc c’était plus par curiosité que les gens venaient. Même les policiers ne savaient pas vraiment comment agir. A côté de moi, un homme m’a dit “mouch tunssia” (elles ne sont pas tunisiennes) et certaines femmes leur ont jeté des manteaux pour qu’elles se couvrent. La situation a commencé à dégénérer lorsqu’elles sont rentrées dans la cour du tribunal, la foule est devenue compacte et au moment où les policiers les ont mises à l’abri, les gens ont commencé à exprimer leur colère. Celle-ci s’est surtout canalisée contre les journalistes et les cameramen que beaucoup avaient vu avant l’événement, devant le tribunal. Certains ont reçu des coups, d’autres se sont fait sortir de la cour à coups de ‘dégage’.”
L’entourage des Femen déplore le manque de soutien du Quai d’Orsay
Emprisonnées juste après leur action, les trois Femen européennes vont être jugées pour “outrage public à la pudeur” et “atteinte aux bonnes mœurs”. Leur procès aura lieu le 5 juin. A coup sûr, il s’agira d’une décision de justice très commentée dans un pays, la Tunisie post-révolution du Jasmin, en proie aux désirs contradictoires du camp progressiste d’un coté et des conservateurs et islamistes de l’autre. Rencontré à Paris, Sacha, le compagnon de la Femen Marguerite, craint un verdict sévère pour les Européennes. Il déplore également “le manque d’action du Quai d’Orsay alors même que le destin de deux ressortissantes françaises est un jeu”. Déçu, il poursuit :
“Même Najat Vallaud Belkacem, pourtant fort soutien des Femen, a eu un langage politicien très cynique. A un moment donné, il ne faut pas y aller avec des gants. Rendez-vous compte que les filles sont emprisonnées depuis une semaine pour avoir montré leurs seins en public ! Les conditions normales d’un procès ne sont pas vraiment respectées. Il aurait fallu taper du poing sur la table…”
En sait-il plus sur les conditions de détention de son amie et de ses camarades de lutte ? “Pas vraiment. Ce que je sais vient de l’avocat qui est sur place. D’après les infos qui nous parviennent, les trois Femen seraient victimes de pressions psychologiques et d’intimidations. Deux exemples : le personnel de la prison les a laissées seins nus dans leur cellule durant de longues heures. Ce sont finalement des codétenues de leur dortoir qui leur ont donné de quoi se vêtir… On persiste à ne parler aux filles qu’en arabe, jamais en français, alors que la plupart des Tunisiens sont bilingues.”
A la question de savoir si les trois Femen étaient conscientes des risques encourus en préparant une telle action dans un pays peu à l’aise avec la nudité, Sacha répond par l’affirmative. “La sanction est disproportionnée, mais les Femen sont courageuses et très déterminées. Elles sont prêtes à aller en prison ou à risquer des blessures si cela fait avancer leur cause. Et tant que ce qu’elles demandent ne voit pas le jour, elles continueront à lutter !”
Une Tunisie post-révolution tourmentée
Retour à Tunis où, hasard du calendrier, le tohu-bohu consécutif à l’action des activistes féministes emboite le pas à la Fashion Week locale. A la veille du procès, l’opinion publique reste divisée sur le sort des Femen européennes. Blogueuse à Nawaat, un site tunisien regroupant journalistes et cyberactivistes, Lilia Blaise explique la position majoritaire :
“La première impression face à cette action était ‘en quoi cela sert-il vraiment les intérêts d’Amina dont le procès se tenait le lendemain ?’. Outre les tabous comme la monstration du corps, la société tunisienne reste très mitigée sur le cas d’Amina et une telle action n’allait pas forcément l’aider.”
Parfois taxée de néo-colonialisme, l’action des activistes européennes dérange. La justice tunisienne se trouve, elle, écartelée. Concrètement, deux solutions se présentent à elle : condamner lourdement les Femen pour l’exemple et apaiser ainsi les franges les plus radicales du conservatisme local ou bien évacuer en catimini le cas de jeunes filles extérieures au contexte tunisien. A priori, protégées par leurs nationalités, Marguerite, Pauline et Joséphine ont des chances d’échapper aux six mois de détention promis par leurs détracteurs. On le comprend, l’affaire des Femen en Tunisie dépasse largement le cadre de l’atteinte aux bonnes mœurs. Au travers du cas d’Amina et de ses soutiens, c’est en fait tous les maux de la société tunisienne d’après la révolution qui resurgissent. Pour Lilia Blaise, le pouvoir tunisien ne se pose pas les bonnes questions :
“La seule leçon que l’on puisse tirer de cette affaire est que le radicalisme semble s’exprimer aussi bien des deux côtés comme si le débat ne pouvait se faire que par la provocation ou la confrontation. On a eu la même chose, dans un cas complètement différent, avec l’interdiction du meeting d’Ansar Charia où les deux parties se répondaient par médias interposés avec une grande violence dans le discours. Ce que l’on peut craindre, c’est que la réponse à ce genre d’expression soit toujours celle de la répression. Dans le cas du congrès d’Ansar Charia, on a parlé d’une médiation mais, en fait, il s’agissait d’une réelle démonstration de force policière accompagnée d’arrestations massives. Dans le cas des Femen et d’Amina, on craint une justice peu équitable dans la mesure où leur action peut heurter les mœurs tunisiennes. A aucun moment, le débat n’évolue vers les raisons de ces actes Pourquoi Amina a-t-elle ressenti le besoin d’aller s’exprimer ainsi à Kairouan ? Pourquoi Ansar Charia est-il si présent dans la société tunisienne aujourd’hui ? Les deux cas témoignent des problèmes de la révolution : une liberté d’expression, certes acquise, mais encore mal utilisée, un retour du religieux qui se base surtout sur le social, grand oublié de la révolution.”
Via: lesinrocks.com
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