Il espère que François Hollande évoquera le cas de sa fille, "soutiendra" les droits de l'homme, ceux des femmes et la liberté d'expression. Lui, c'est Mounir Sbouï, le père d'Amina, la Femen tunisienne. Ce 4 juillet, alors que le chef de l'État français entame une visite de deux jours à Tunis, Amina comparaît en appel pour la détention d'une bombe lacrymogène d'autodéfense trouvée dans son sac à dos le 19 mai. Ce jour-là, elle s'était rendue à Kairouan (centre) en vue de défier les djihadistes d'Ansar al-Charia qui devaient y tenir leur congrès annuel, interdit par les autorités. Elle avait prévu d'y délivrer un message : "La Tunisie n'est ni l'Afghanistan, ni la Somalie, ni le Pakistan. La Tunisie est un État civil et les femmes sont libres." Mais puisque le meeting a été annulé, Amina a tagué sur le muret d'un cimetière de la ville natale de sa famille, en contrebas de la mosquée Okba Ibn Nafaa, le mot "Femen". Éloignée de la population par la police, puis arrêtée en raison de sa petite bombe lacrymogène, elle est depuis incarcérée à Sousse.
En première ligne contre Ben Ali
Installé dans son café habituel, Mounir Sbouï sourit. Ce jour-là, le 3 juillet, s'est tenue la première conférence de presse du comité de soutien à Amina. "Elle était toute seule jusqu'à présent. Personne ne la soutenait", dit-il. Le 30 mai, au tribunal de Kairouan, alors qu'elle comparaissait en première instance, des centaines de salafistes étaient rassemblés contre sa fille, qui a écopé d'une amende de 300 dinars (140 euros) pour "détention de matériel explosif", en application d'un décret beylical datant de... 1894 ! Une poignée de militants seulement était venue la soutenir. Jusqu'à présent, seules les Femen avaient manifesté en sa faveur, à Tunis, au Bourget et encore mercredi, à Paris sous les fenêtres de l'Élysée.
Mounir Sbouï décrit Amina, 18 ans, comme une "enfant révoltée", toujours prête à aider les autres. "C'est pour ça qu'elle veut être journaliste", dit-il. Une jeune femme qui, en janvier 2011, a assisté à l'immolation par le feu d'un de ses camarades dans l'enceinte de son lycée. "Elle a couru pour essayer de le sauver", raconte sa soeur. Dans les manifestations contre Ben Ali, elle "était sur les épaules de ses amis", sourit fièrement son père, qui voit en elle un "chef". Une fois Ben Ali parti, elle fuguait pour aller camper dans les sit-in de Kasbah 1 et Kasbah 2, sous les fenêtres du siège du gouvernement. "Nous allions la chercher à deux heures du matin. On ouvrait les tentes une par une pour l'attraper et la ramener à la maison", rit ce médecin qui travaille pour le ministère de la Santé.
"Mon corps n'est l'honneur de personne"
Les photos d'elle seins nus avec écrit sur la poitrine "mon corps m'appartient, il n'est l'honneur de personne" qui ont été diffusées sur les réseaux sociaux ont déclenché la colère de la famille. Dans des vidéos, floutée, sa mère, très pieuse, est sortie pour plaider la folie de sa fille, ce que balaie Mounir Sbouï. "Notre société, dans cette ère de changement, cherche des repères, pour certains, c'est la religion. Les gens ont besoin de se sentir appartenir à un groupe", estime ce père qui a longtemps gardé le silence. Selon lui, Amina a été "bouleversée par la mort de Chokri Belaïd et par les atteintes aux droits des femmes. Elle a vu les femmes partir travailler tôt le matin pendant que les hommes restaient au café. C'est tout cela qui l'a poussée à se dénuder."
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Après Kairouan, il adresse une lettre à un quotidien arabophone dans laquelle il se dit "fier" de sa fille, qui, écrit-il, "a commis un acte "suicidaire" en allant à Kairouan". Il demande aussi pourquoi "aujourd'hui, notre jeunesse s'enrôle pour le djihad en Syrie, va mourir en mer. C'est cette même jeunesse qui part faire ses études à l'étranger pour ne plus revenir". "Les gens ne font que l'incriminer, mais personne n'a cherché à comprendre pourquoi elle a fait ça", fustige-t-il. Il s'en veut. Il regrette d'avoir laissé ses deux filles chez leurs grands-parents à Tunis, alors que, pendant cinq ans, il était allé chercher "un meilleur salaire" en Arabie saoudite, avec sa femme et leur garçon. Durant cette période, Amina fera deux fois la oumra, le petit pèlerinage de La Mecque, et se rendra à Médine, la deuxième ville sainte de l'islam. Elle n'était encore qu'une enfant vêtue d'une petite robe, se souvient Mounir Sbouï, et des hommes ont violemment protesté à l'aéroport et insisté pour qu'elle soit "couverte".
"Notre Prophète comprendrait Amina"
Pour sa soeur, Amina est "très influençable. Elle se cherche." "Ce n'est pas en protestant contre les religions, dans des églises ou des mosquées que les Femen feront changer les choses", dit, en invoquant Che Guevara, Mandela ou encore Chávez, la jeune femme, voilée et pieuse, qui cite régulièrement le Coran. Cela ne l'empêche pas de soutenir sa soeur aujourd'hui : "Elle n'a rien fait au cimetière de Kairouan. Le Prophète a pardonné un homme qui avait uriné dans une mosquée, alors que ses disciples voulaient l'attaquer. Si notre Prophète était encore vivant, il comprendrait Amina", espère-t-elle, la gorge nouée.
Le 5 juin, elle est entendue par un juge d'instruction pour "profanation de sépulture", "atteinte à la pudeur" dans le cadre d'"association de malfaiteurs", ce qui pourrait lui valoir 6 ans de prison. Pour le moment, ces charges n'ont pas été retenues. À la mi-juin, les témoins qui assuraient que la jeune femme "s'apprêtait à se déshabiller", ce qu'elle a toujours nié, se sont rétractés. Les avocats répètent que "le dossier est vide" et espèrent un "classement de l'affaire". Pour son père, si Amina "n'est pas libérée pendant la visite de Hollande, cela sera très difficile après".
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Via: lepoint.fr
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