En février 2013, leJDD.fr avait rencontré Eloïse Bouton au Lavoir moderne parisien, QG de la branche française des Femen. A 29 ans, elle était alors l'un des piliers du mouvement féministe importé d'Ukraine et emmené par Inna Shevchenko. Depuis, les choses ont évolué. Cette activiste a pris du recul et quitté le mouvement un an plus tard, en février 2014. Dans un livre paru la semaine dernière, intitulé Confession d'une ex-Femen, Eloïse Bouton revient sur cette aventure, évoquant les bons comme les mauvais souvenirs. Elle y déplore notamment le fonctionnement interne du mouvement, qu'elle juge "désastreux, défaillant et nocif".
Eloïse Bouton (en short rouge au premier plan) en septembre 2012. (Sipa)
Tout au long de l'ouvrage, Eloïse Bouton - qui avait contacté Femen en mai 2012 pour rejoindre le groupe - distille les anecdotes. A commencer par sa première action à Londres lors des Jeux Olympiques de 2012 pour protester contre la décision d'autoriser deux athlètes saoudiennes à concourir voilées. "Tout à coup, tout se précipite. Je déboutonne ma veste. Je la jette au sol. Je dégaine ma couronne de fleurs (…) Je crie en regardant la caméra (…) Je cours du plus vite que je peux (…) Je tombe à genoux. Je ne résiste pas (…) Je sens le métal froid de menottes enserrer mes poignets." Suivront plusieurs heures de garde à vue dans la capitale britannique.
"Pas le temps d'en parler maintenant"
A l'époque déjà les questionnements font surface. "Qui fait quoi? Qui est la cheffe? Comment le mouvement est financé? Existe-t-il un manifeste? Qu'attendez-vous de moi?". Tous restent sans réponse. "Pas le temps d'en parler maintenant. Je t'expliquerai plus tard", s'entend répondre Eloïse Bouton. Quelques pages plus loin, si l'activiste affirme que le financement de la branche française est exclusivement issu de dons, de droits d'auteurs, des cotisations et de la vente sur Internet de produits dérivés, elle ajoute, regrettant là encore le flou entretenu : "Pour ma part, j'ignore toujours qui finance la branche ukrainienne."
La terminologie guerrière utilisée notamment par Inna Shevchenko, qui parle de "lever une armée de soldates", lui "déplaît" également. "Je maudis les entraînements. Je n'ai jamais affectionné ces sessions d'exercice physique à la sauce GI Jane (…) Et que je crie en trottinant en cercle, et que je marche sur le ventre de mes copines pour les endurcir!"
"Elles ont minci, se sont teint les cheveux en blond platine"
Eloïse Bouton est aussi très critique envers le fonctionnement interne du mouvement. Si au début de l'aventure, "nous sommes peu et faisons tout", une hiérarchie s'installe peu à peu entre les anciennes et les nouvelles recrues. Mais le non-dit demeure. Pourquoi, s'interroge l'activiste, qui regrette que Femen ne soit pas "suffisamment clair", "de manière à ce qu'elles n'espèrent pas vainement appartenir à un cercle auquel elles n'appartiendront jamais". Eloïse Bouton évoque également des castings non pas physiques, mais psychologiques. "Seules les plus fortes subsistent, comme des animaux dans la nature. Cet argument essentialiste, allégué à tout-va, m'horripile", explique-t-elle.
Quant aux nouvelles venues, elles semblent vouer un culte à leur leader Inna Shevchenko. "Elles ont minci, se sont teint les cheveux en blond platine (…) Elles portent désormais toutes des shorts en assurant qu'elles n'en portaient pas avant", raconte Eloïse Bouton. "Elles semblent si loin de ma réalité que je ne les reconnais plus."
Accusée d'être une escort-girl, la jeune femme revient aussi sur cet épisode et explique qu'en tant que journaliste freelance, elle s'était, pour les besoins d'une enquête au printemps 2011, créée un tel profil sur Internet pour "dresser des portraits de clients réguliers de prostituées". Des photos reprises sur des sites extrémistes notamment par l'intermédiaire de son ex-petit ami, assure celle qui a senti les regards peser sur sa personne. "Je sens le doute dans leur regard, qui me fait plus de mal que leur absence de soutien (…) Face à un exemple concret de violence faite à une femme, Femen démontre son incapacité d'écoute et d'encadrement", déplore Eloïse Bouton.
"Le message extérieur s'avère parfois incompris"
Eloïse Bouton revient également sur plusieurs actions, dont celle - très critiquée - menée en février 2013 à la cathédrale Notre-Dame de Paris pour réagir à la fois à la renonciation du pape Benoît XVI et l'adoption à l'Assemblée nationale du projet de loi Taubira sur le mariage pour tous. "Pour Femen, Notre-Dame représente le début du désaveu et marque un premier déclin", écrit l'ex-membre du mouvement féministe. Lors d'un procès, les militantes seront finalement relaxées. Elle relate également la protestation contre Civitas fin 2012 ou encore l'action pro-avortement à l'église de La Madeleine en décembre 2013 suite à laquelle elle sera jugée pour "exhibition sexuelle".
L'ouvrage n'épargne pas non plus Caroline Fourest, qui "prend l'habitude de débarquer régulièrement aux réunions (…) sans demander si elle est la bienvenue, sans saluer personne (à part Inna) et sans se présenter". "Une présence envahissante et paternaliste." L'essayiste, tombée sous le charme d'Inna Shevchenko, a co-réalisé un documentaire intitulé Nos seins, nos armes! sur le mouvement Femen et a écrit un livre sur sa chef de file, Inna.
Eloïse Bouton lors de sa rencontre avec leJDD.fr en février 2013. (DR)
"La communication supplante la doctrine", regrette avec le recul Eloïse Bouton, qui en tant que secrétaire du mouvement affirme avoir un temps essayé de mettre en place "un pôle dédié au fond", complémentaire des actions. "Inna raffole de formules chocs (…) Si l'objectif est clair dans son esprit, le message extérieur s'avère parfois incompris ou détourné", juge la militante, qui regrette que Femen ne réponde pas aux critiques extérieures. "Je suis fatiguée par cette technique de punition par le silence, infligée comme parade à toute critique (…) De plus, apprendre à des femmes à se taire me semble en contradiction totale avec une posture émancipatoire."
Des différends, nombreux, qui pousseront l'activiste à quitter le mouvement en février 2014, après avoir été accusée à tort d'être "une balance". "J'étais féministe avant Femen, je le suis aujourd'hui et le serai demain", écrit Eloïse Bouton, qui assure n'avoir "aucun regret" et continue de trouver "que le mode d'action est génial, ultra-moderne et novateur". Mais ce sera sans elle.
* Confession d'une ex-Femen, par Eloïse Bouton. Editions du Moment. 208 pages. 16,95 euros.
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