Depuis la conquête des régions caucasiennes par les tsars au XIXe siècle, les révoltes ont été nombreuses, la plus connue étant celle de l’imam daghestanais Chamil. Après la chute de l’Union soviétique, c’est le soulèvement tchétchène qui a déstabilisé la région. Plus récemment, les velléités d’indépendance ont été réveillées par la politique russe de reconnaissance de l’indépendance des républiques d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud prélevées sur la Géorgie en 2008, et la menace principale est désormais celle de l’ « Emirat du Caucase ».
La venue de prédicateurs étrangers, ajoutée à des violences terribles de la part des troupes russes, suite à la chute de l’Union soviétique, a radicalisé la résistance, et la coloration islamiste est devenue de plus en plus évidente. Cependant, à l’origine, même chez les groupes salafistes les plus durs comme celui de Bassaïev, les revendications demeuraient politiques et avant tout anticoloniales. La rhétorique d’un djihad mondialisé, les revendications d’un émirat islamiste ne sont apparues qu’après la mort du président tchétchène Aslan Maskhadov en 2005 puis celle du combattant indépendantiste Chamil Bassaïev en 2006.
L’Emirat du Caucase, créé en 2007 par Doku Umarov, revendique une région de 106000 km² avec 6.300.000 habitants parmi lesquels se trouvent des Russes et des Ossètes orthodoxes et bien sûr les 6 républiques autonomes musulmanes dont la Tchétchénie et le Daghestan, le grand port russe Novorossiïsk, les deux débouchés maritimes de la mer Noire et de la mer Caspienne riche en hydrocarbures. Pour la Russie, il est inconcevable de perdre cette région stratégique, certes peuplée d’allogènes.
L’Emirat appartient à la mouvance salafiste d’al Qaïda, avec laquelle ses militants entretiennent des liens depuis les années 1990, notamment par des entraînements en Afghanistan et plus récemment en Syrie. Le combat ne vise plus la seule indépendance de la Tchétchénie, mais la création d’un État islamiste regroupant toutes les régions du Caucase du Nord et fondé sur un islam rigoriste. L’interprétation salafiste sunnite des idéologues de l’Emirat rentre cependant en conflit avec un islam des confréries, majoritaire dans le Caucase et avec le chiisme du sud du Daghestan. Il est vrai que l’islam post-soviétique est assorti de pratiques assez peu islamiques, comme la consommation d’alcool et le culte des saints.
Grâce à l’audience internationale obtenue par le site Kavkaz Center (accessible en anglais, en russe, en ukrainien, en turc et en arabe), le combat contre l’État russe est médiatisé et peut toucher les autres peuples musulmans de Russie, dont les Tatars de Kazan (5,3 millions) et les Bachkirs (1,6 millions).
La liste des attentats, souvent spectaculaires, commis par la rébellion tchétchène puis par l’Émirat du Caucase est impressionnante:
Octobre 2002 : Prise d’otages dans le théâtre Nord-Ost de Moscou (170 morts, 700 blessés)
Février 2004 : Attentat suicide dans le métro de Moscou (41 morts, 120 blessés)
Mai 2004 : Assassinat du président tchétchène pro-russe dans un stade (30 morts, 56 blessés)
Août 2004 : Explosion en vol de deux avions russes provoquée par des kamikazes (89 morts)
Septembre 2004 : Prise d’otages dans une école de Beslan (385 morts, 783 blessés)
Novembre 2009 : Attentat contre le train Nevski Express (27 morts, 130 blessés)
Mars 2010 : Attentat suicide dans le métro de Moscou (40 morts, 100 blessés)
Janvier 2011 : Attentat contre l’aéroport Domodedovo de Moscou (36 morts, 200 blessés)
Depuis la prise d’otages de Beslan en 2004, les troupes russes se chargent de la garde des bases et de l’escorte des convois, tandis que l’essentiel du ratissage contre-insurrectionnel est pris en charge par des forces locales. Cette organisation cherche à pallier plusieurs facteurs d’inefficacité initiale du contre-terrorisme russe : le manque de coordination des forces, la faible motivation et l’incompréhension des troupes russes face aux caucasiens musulmans, et l’accusation de racisme et de colonialisme. Les forces mobilisées s’élèvent à 70 000 membres du Ministère de l’Intérieur, équipés de chars, véhicules blindés et hélicoptères Mi-8. Deux bataillons spéciaux indigènes ont été créés dans ce cadre, un bataillon composé de Tchétchènes pro-russes et réputé pour ses atrocités, et plus récemment un bataillon de Daghestanais fidèles. Ces forces, rattachées au Ministère de l’Intérieur, ne font l’objet que de rares contrôles et opèrent avec une large impunité. La corruption endémique nuit à la collecte de renseignements.
L’interpénétration de la police et du crime organisé est telle que les informations sont très rarement fiables. La brutalité des forces du Ministère de l’Intérieur, loin de l’assimilation recherchée, crée un fossé grandissant avec les peuples du Caucase.
Cherchant à assurer la « verticale du pouvoir », mais en manque de ressources administratives, le Kremlin délègue un grand nombre de responsabilités aux gouvernements pro-russes des républiques autonomes du Caucase. La compensation offerte par le Kremlin aggrave le patrimonialisme et la corruption. Les subventions massives de Moscou octroient aux gouvernements locaux la responsabilité de la distribution des ressources, créant un système de clans privilégiés.
En fait, la Russie se trouve confrontée à une lutte anti-colonialiste typique de la deuxième moitié du XXe siècle, transfigurée en djihad salafiste du XXIe siècle. L’argument de l’ethnicité, affiché lors de l’annexion récente de la Crimée (russe à 58%), sera inévitablement utilisé par les peuples caucasiens musulmans et retourné contre le camarade Président Poutine.
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