Où est Amina ? Cette lycéenne de 19 ans est la première Tunisienne à avoir posé à la sauce Femen, seins nus, voilà deux semaines. «Mon corps m’appartient, il n’est l’honneur de personne», avait-elle peint, en arabe, sur sa poitrine. «Fuck your morals», y avait-elle écrit, sur une autre photo.
Pas de happening dans l’espace public, mais de simples clichés postés sur Facebook. Amina les avait envoyés aux activistes de l’ONG ukrainienne, qui les ont relayés sur plusieurs de leur page. La lycéenne avait elle-même lancé une «Femen Tunisian fanpage», le 1er mars. «Avec ses photos, elle voulait soutenir les Femen, comme le font beaucoup de femmes à travers le monde, explique Inna Shevchenko, la fondatrice du mouvement. On était en contact depuis deux semaines, elle souhaitait lancer les Femen en Tunisie.»
Photo d'Amina publiée sur la page Femen France.
Mais depuis quelques jours, Amina est injoignable, a alerté l'ONG, jeudi matin. «Son téléphone est éteint depuis trois jours, son compte Facebook est inactif, de même que son compte Skype. On a reçu des messages comme quoi elle est avec sa famille, qu’elle va bien, mais on ne connaît pas ces gens qui nous les ont envoyés», détaille Inna Shevchenko. Amina a-t-elle choisi de se mettre au vert, le temps que la polémique déclenchée par l’exposition publique de son poitrail s’apaise ?
Les photos ont en effet suscité de virulentes critiques, et même des menaces de mort. De nombreuses pages islamistes ont relayé les clichés, bien floutés cette fois, pour dénoncer l’infamie. Les commentaires sont acerbes : «Rhabille-toi, tu es moche», «Vous faites honte à votre famille», «Pour nous tu n’es qu’une racaille de plus, au diable la liberté de la femme», s’emportent des internautes sur la page Tunisialeaks. Moins catégoriques, beaucoup critiquent toutefois la forme. «La Tunisie a-t-elle vraiment besoin des seins nus actuellement ?», interroge ainsi le site Tekiano. D’autres expriment leur soutien à Amina. Une deuxième jeune femme, Meriam, a ainsi posé seins nus, tétons floutés. Les internautes s'affrontent à coups de pages Facebook interposées, tantôt pro, tantôt anti-Femen. Exemple : «No Femen- Tunisian i’m just muslim».
Mercredi soir, le pirate islamiste el-3angour a pris le contrôle de Femen Tunisia, autre page Facebook de soutien aux Femen créée de longue date. «Grâce à Dieu nous avons piraté cette page immorale et le meilleur est à venir», a-t-il écrit, au milieu de sourates du Coran, d’images religieuses, tandis qu’un barbu squatte la photo de profil. «Si Dieu le veut, ces saletés vont disparaître de Tunisie», promet encore le pirate. La page est désormais inaccessible.
Adel Almi, le très médiatisé président de «l’Association centriste pour la sensibilisation et la réforme», a appelé à punir la jeune femme. «Amina doit être flagellée une centaine de fois sachant que, vu l’ampleur de son péché, la jeune fille mérite la lapidation à mort», aurait-il déclaré selon le site Assabah news, tandis qu’Almi conteste avoir appelé à aller jusque-là. L’homme est coutumier de la provocation islamiste : en septembre dernier, il avait considéré la polygamie comme un bon moyen pour lutter contre le cancer de l’utérus, vu que celui-ci aurait selon lui besoin de «cent trente jours d’abstinence sexuelle» pour être «purifié».
De même, une femme qui se présente comme la tante de la jeune fille, a posté une longue vidéo sur Facebook. Elle y explique qu’Amina est «déséquilibrée», «psychopathe», qu’elle «jubile» du battage médiatique autour d’elle, qu’elle «fugue» et a de «mauvaises fréquentations». La tante «renie à tout jamais» sa nièce et raconte que son père malade «pleure tous les jours», «diminué dans son orgueil d’homme». «Qu’elle vienne pas salir l’image de Dieu, l’image de sa famille qui est pieuse, poursuit la tante. Si vous la voyez, dénoncez-la, appelez la police, mais ne lui faites pas de mal. J’espère qu’elle paiera cher pour ses actes, le mal qu’elle a fait. Aidez-nous à la retrouver.»
Avant son éclipse, Amina a expliqué son geste. «On n’enlève pas nos hauts pour des raisons sexuelles, nous les Femen, nous avons le courage de crier fort nos revendications pour libérer la femme», a-t-elle affirmé sur le plateau de l’émission Labes.
Le débat sur les Femen n’est pas nouveau. Voilà quelques mois que Tunis bruisse de la création d’une section et que quelques jeunes femmes s'activaient sur Facebook, sans passer le cap du sein nu. Tout début mars, la rumeur s’était de nouveau propagée. La ministre de la Femme Sihem Badi, issue du parti du président Marzouki, avait alors promis de jeter toutes ses forces contre l’arrivée de ces «pratiques étrangères aux traditions tunisiennes». «Les droits de nos femmes sont préservés. Nous n’avons pas besoin de ce genre de groupe», plaidait la ministre controversée.
A Tunis, des tags Femen sont apparus ces derniers mois. Ici, sur une porte du théâtre, sur l'avenue Bourguiba. (photo E.A.)
«Si on peut contester la forme de l’action, on n’a pas à réagir par la violence, ni dans les propos, ni dans les actes», souligne Meriem Zeghidi, de l’association tunisienne des femmes démocrates, qui dénonce «un extrémisme pur et dur, un refus de l’autre». «Les Femen sont un test pour un pays, elles font ressortir la réalité de la violence envers les femmes et du comportement politique», estime pour sa part Inna Shevchenko. Se défendant d’être des «kamikazes», elle défend toutefois la «possibilité de mener partout [leurs] actions». «Le fait qu’il y ait des femmes arabes, ajoute-t-elle, comme Amina ou Aliaa Elmahdy [cette jeune Egyptienne qui a posé nue sur son blog et qui a depuis rejoint les Femen, ndlr], c’est un signe que ça doit se passer maintenant».
Via: liberation.fr
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