Elles étaient quatre. Inna, Sasha, Anna, Okasana. Dans l’ambiance glauque d’une Ukraine corrompue agonisante, un drame se joue... Attendez, non : un film d’épouvante pour toute féministe qui se respecte.
Déjà, en 2012, l’Ukraine se dévoilait comme une gigantesque maison de passe. C’est du moins ce qu’on pouvait lire sur les poitrines des Femen en réaction contre le tourisme sexuel ayant cours lors d’un championnat de soccer européen. Mais les forces patriarcales qui y sévissaient s’exposent ici sous un tout autre angle, plus terrifiant, c’est-à-dire au sein même du groupe « sextrémiste ».
On a pratiquement tout dit sur les Femen depuis leurs débuts en 2008. Mais que sait-on du collectif au pays du temps de Viktor Ianoukovitch ? La documentariste australienne Kitty Green, qui a vécu 14 mois dans un 2 et demie pourri de Kyiv avec deux militantes, trace un portrait des origines de la bande.
Dans l’ambiance sombre synonyme de l’ère « postsoviétique », la caméra sensible de Green s’intéresse au quotidien des soldates Femen. Le train-train de ces minces ingénues aux cheveux topaze n’a rien d’instructif du point de vue militant, si ce n’est pour effleurer la dépersonnalisation au nom de la lutte : on se peint les seins, on les lave, on scrute frénétiquement nos actions sur Internet, on s’étire parce qu’on travaille comme danseuse nue ou on s’entraîne à maintenir de beaux abdominaux.
Mais à travers les bruissements soyeux de la chevelure d’Inna Shevchenko, figure de proue du mouvement, on voit des ébréchures. Irina, sympathisante expulsée du groupe parce qu’elle souhaitait « garder son haut », est particulièrement troublante. Elle compare la « marque » Femen à la chaîne de restauration rapide McDonald’s. Alexandra, militante corpulente au crâne presque rasé, vêtue d’un simple string, sert de prétexte à une flash mob provocante où elle joue le rôle d’une « sex bomb ». Une action qui n’a jamais fait la une des Inrockuptibles ou du Charlie Hebdo…
Anna Hustol, souvent qualifiée de « tête pensante » du mouvement, n’offre pas de quoi se sustenter intellectuellement. « Si on reçoit de l’argent, ce n’est pas seulement parce qu’on est jolies, dit la petite rousse au visage sévère devant une affiche des Femen en petites culottes, c’est parce que l’argent appartient aux hommes et que c’est eux qui nous en envoient. »
De la Biélorussie à la Turquie, la tension du film est maintenue et ponctuée de plusieurs actions plus ou moins incriminables des filles. L’une des principales tactiques est de se débattre et de crier dès que s’exécutent les forces policières. Kitty Green elle-même a été détenue plusieurs heures lors d’une intervention devant le KGB biélorusse.
Puis, le documentaire prend une tournure horrifiante alors qu’entre en scène Viktor Sviatski. Cet idéologue gênant, ce maître à penser halluciné, insiste à plusieurs reprises : « Ces filles sont faibles. Elles n’ont pas le désir d’être fortes[…] Il faut leur montrer comment militer. » Celui qui se présente comme fondateur des Femen et qui n’hésite pas à se comparer à Marx ou à Lénine laisse entendre qu’il l’a fait pour « avoir des filles » et qu’il est seulement un « esclave » de la société patriarcale.
Pire, le gourou de l’agit-prop de la cuisse (femen signifie « cuisse » en latin) décide s’il paie ou non les jeunes Cicciolina 200 $ « si elles performent bien » ! Pour Sasha, l’attachement à Sviatski s’apparente au syndrome de Stockholm. Pour Oksana, le groupe « Femen ne serait pas devenu ce qu’il est sans qu’un homme l’ait imaginé » ! De quoi pousser un cri hitchcockien !
Heureusement, le documentaire se termine sur la fuite d’Inna Shevchenko à Paris : « L’ère de Victor doit se terminer maintenant, dit-elle en versant quelques larmes. Nous pouvons mener les Femen depuis un autre pays où il ne pourra nous contrôler. » D’ailleurs, il a été exclu de toute activité depuis.
Le regard de Kitty Green apporte beaucoup pour comprendre le mouvement. Elle pensait filmer de « jeunes femmes nues aux méthodes de lutte très contradictoires » en arrivant à Kyiv. Certaines situations lui ont d’ailleurs fait grincer des dents, notamment lorsqu’un homme d’affaires puissant a utilisé la présence des Femen en Tunisie pour promouvoir de la lingerie. Mais après avoir vécu aussi près d’elles pendant des mois, Green s’est dite touchée par leur « force et leur honnêteté », espérant qu’elles feront de « meilleurs choix » pour le groupe.
Via: ledevoir.com
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