Caroline, Inna et les Femen : une éducation sentimentale

Est-ce un essai politique, une biographie militante, un roman à l’eau de rose? Après l’avoir lu, le doute subsiste encore. Le livre qui paraît demain aux éditions Grasset laisse perplexe. D’autant que l’auteure, l’essayiste et journaliste féministe militante Caroline Fourest, n’est pas particulièrement connue pour son goût pour la gaudriole. Son livre, intitulé sobrement « Inna », est un objet littéraire non identifié consacré à Inna Shevchenko, la leadeuse du mouvement des Femen France. Un personnage étrange, cette Inna : à peine vingtenaire mais déjà si âpre au combat. Caroline Fourest ne le cache pas : dès leur première rencontre, elle est fascinée. Inna, « la courbe de ses reins », ses yeux verts étincelants qu’elle « plante » dans les siens. « Sa présence, forte, me trouble », écrit-elle, littéralement amoureuse. Son récit, qu’elle présente comme un « roman-enquête », est une véritable ode à l’amazone venue du froid.

Elle raconte son enfance à Kherson, un petit port de Crimée sur les rives de la mer Noire, terre de toutes les grandes invasions barbares, entre un père qu’elle adule et une mère qu’elle rêve de libérer. Pressée de s’affranchir de son destin tout tracé de jeune mère de famille, l’élève brillante s’envole étudier à Kyiv. Elle veut devenir journaliste. Mais claque la porte sitôt embauchée au service presse de la mairie. Inna, déjà radicale, n’est pas encore prête à modérer ses idées. Elle sera finalement Femen. La suite est connue : sa fuite « romanesque » en sautant du balcon de son petit studio, alors que la police tente d’entrer, avec son téléphone, son iPad et un billet de 100 dollars glissé à la va-vite dans la poche de son mini-short en jean. L’arrivée à Paris au Lavoir Moderne, leur nouveau QG de la Goutte d’Or et l’OPA avortée de l’ex-fondatrice des Ni Putes ni Soumises Safia Lebdi. Le défilé des nouvelles recrues françaises, leur formation calquée sur les entrainements militaires, les premières actions ciblées… Bien vite, le décalage apparaît entre la « camarade » Shevchenko, la « générale en chef » « castratrice et révolutionnaire » et son armée de « soldates » hexagonales qu’on dirait « complètement à sa botte » : « Je ne vois pas comment transformer ces gamines pleines d’avenir, venues à Femen pour quelques sensations, en « warriors » dignes du bloc de l’Est », écrit Fourest, sceptique.

Avec une certaine franchise, elle ne cache rien de ses doutes sur le devenir du mouvement, trop absolu, raconte les clashs et la rupture, inévitable, lorsqu’Inna tweete rageusement sa haine des islamistes, qu'elle requalifie en « religiophobie ». L'essayiste s’essaie aussi à l’autodérision; elle, l’intellectuelle aux cheveux courts installée, sa « mièvrerie bourgeoise », face à ces féministes toutes en cheveux peroxydées et talons aiguilles. Mais évacue un peu vite le rôle de Viktor Sviastki, le « cerveau malade » des Femen en Ukraine tout en balayant toute question sur les financements du mouvement. Son Inna, elle le répète, est une activiste pure et dure qui ne vit que pour mener sa révolution : elle se nourrit de baguettes de pain et de boîtes de thon, et n’a pas un kopeck pour s’acheter un chauffage d’appoint dans son squat de la Goutte d’Or.

Caroline Fourest l’admet : au-delà du mouvement, qu’elle dit avoir « infiltré » pendant un an et auquel elle a consacré un documentaire très enthousiaste, c’est uniquement Inna qui l’intéresse. Pour percer l’épaisse armure de sa « bolchevique » au cœur si froid, elle s’improvise mentor et professeure d’histoire la journée, guide touristique et gastronomique la nuit. Le soir, elle invite au restaurant celle qui ne vit « que pour le combat », espérant en secret lui servir d’autres douceurs. A la lueur des dîners aux chandelles, sa Barbie ukrainienne lui paraît encore plus belle… « Il fallait que je la raconte avec mes yeux. Je ne pouvais pas faire une biographie simple et froide d’une personne qui est devenue bien plus pour moi. Et je ne pouvais pas raconter Inna et la mettre à nu sans me déshabiller aussi ». L’entreprise paraît sincère, mais l’exercice est périlleux. On ne mélange pas les genres sans tous les maîtriser. Hélas, Fourest, parfois pertinente dans l’analyse de ce mouvement iconoclaste, se vautre dans la romance : « Suis-je la seule à ressentir ce qui se passe ? - Comment ça ? - Cette attirance, Inna… A peine ai-je fini ma phrase que Inna se décompose. Ses joues s’empourprent, sa respiration se bloque. Comme si elle allait défaillir. - Oh, mon Dieu… ». On est très bête quand on est amoureux.

Caroline Fourest, Inna, Grasset.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Via: obsession.nouvelobs.com


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