Corps de femme, corps de combat

On a vu Neda Topaloski créer la nouvelle jeudi dernier en interrompant un point de presse autrement moins étonnant de la ministre Hélène David sur l’affichage commercial en français. La jeune femme, seins nus, slogans à même le torse et vêtements devenus étendards, protestait contre le projet de loi 20, et surtout la restriction de l’accès à l’avortement — niée par le gouvernement — que celui-ci pourrait entraîner. Une intervention d’esprit purement Femen, ce mouvement féministe né en Ukraine en 2008 que Topaloski a rejoint. Depuis son adhésion, cette dernière a « crashé » une inauguration du Grand Prix et des débats de la Chambre des communes. Entrevue avec un corps-combat qui ne manque pas d’idées.

 

C’est le désormais célèbre « Crucifix décâlisse », scandé par trois militantes à l’Assemblée nationale en 2013, qui a interpellé Neda Topaloski. « Je ne pouvais pas laisser passer cette révolution sans y participer, confie la femme de 29 ans à la terrasse d’un café de Villeray. Cette tentative de détruire le patriarcat en détournant son réseau de signifié, la confrontation directe, la rage, l’attitude qui ne pardonne rien,le symbole du corps de la femme… On peut réfléchir à tout ça, mais je n’avais jamais vu des femmes incarner autant cette utopie de la libération. »

 

Elle a donc lancé son propre corps dans l’arène, rejoignant il y a un an et demi Femen Canada. Depuis, elle a été de quelques « interruptions Femen ». « Pour avoir dénoncé C-51 lors du débat au Parlement à Ottawa [en mars dernier], on m’a interdit de revenir sur la colline pendant un an. Pour avoir fait intrusion sur le tapis rouge durant la soirée d’inauguration du Grand Prix l’an dernier, devant tout le gratin et les 1 % et les pilotes, pour dénoncer l’industrie du sexe et le tourisme sexuel à Montréal qui fleurit pendant cette période, on a eu une amende pour avoir “émis un bruit audible”», rapporte-t-elle, ironique… Une autre action faite au Grand Prix lui vaut des accusations pour actions indécentes. Son geste de la semaine dernière risque de la voir poursuivie pour exhibitionnisme.

 

Le risque personnel est réel. « Dans Femen, on travaille avec nos noms, nos identités, c’est toujours à découvert. Ce n’est pas comme une manifestation où tu vas rejoindre 2000 personnes dans la rue et où le nombre devient la force — et où tu es anonyme. Ça exige d’assumer tout, entièrement, une force qui se construit avec l’activisme et le sextremisme. Peu importe la nervosité, la difficulté dans la façon de le faire : ce qui me motive, c’est que si je ne le fais pas, personne d’autre ne va le faire, personne d’autre ne va dénoncer. »

  

Les femmes qui revendiquent sont dangereuses

 

Elle sait les critiques qu’on oppose aux Femen. Que les images qu’elles produisent court-circuitent le message. Que ces filles jouent encore sur le stéréotype : jeunes, souvent belles, demi-nues. Mais, répond-elle, « le message, c’est l’image ! Le corps n’est pas seulement le moyen, c’est aussi le message. On cherche à soustraire le corps de la femme de la logique patriarcale, et c’est la performance de cette soustraction qui est exactement le message, cette femme qui oppose sa subjectivité à une objectivation permanente. Que les médias veuillent le porter ou pas. “Mon utérus ma priorité”, dit-elle en citant son propre slogan, ç’a été lu. “Contre la loi 20”, ç’a été entendu. Il n’y a absolument aucune ambiguïté sur ce que je voulais dire. »

 

Ce qui est ridicule, estime la femme d’origine bulgare arrivée au Québec à 12 ans, c’est la couverture médiatique de Radio-Canada, qui a fait de son geste un débat sur la sécurité du parlement. « C’est un détournement qui leur permet de NE PAS parler des femmes dans la loi 20 ni de la question du droit à l’avortement qui risque d’être ébranlé par une mesure économique. Je me demande en quoi je peux être une menace — et pour la sécurité de qui ou de quoi ? demande-t-elle, sourire aux lèvres. La raison pour laquelle j’ai pu entrer là ce jour-là c’est justement parce que je ne portais aucune arme, ni rien qui puisse être un danger, pour personne. On manifeste de façon non violente et pacifique — même si on est agressives. »

 

Elle poursuit : « La seule sécurité menacée ce jour-là, c’est celle de leur rituel. Parce que ma voix a résonné plus fort pendant 20 secondes. Ce ne saurait être une menace, si on est effectivement dans un système démocratique. Ça en devient une dans un contexte où on tente d’éliminer certaines idées. »

 

Celle qui gagne sa vie comme serveuse, baccalauréat de littérature en poche, porte encore sur les bras bleus et griffures, laissés par les gardiens de sécurité qui l’ont sortie de la pièce de manière musclée. « Quand je vais à l’Assemblée nationale, je m’attends à ce qu’on me tasse, ça fait partie d’une dramatisation du réel. Tout le monde devient acteur involontaire de notre mise en scène, de cette démonstration de la domination masculine qui dit “ne touche pas à notre cadre”. Du moment que quelqu’un “d’autre” y parle, il est réprimé en quelques secondes, comme si c’était plus grave qu’une bombe. Ils réagissent violemment à un acte d’expression — ça rajoute de la gravité à la situation. C’est ce qui se passe aussi entre les étudiants et les policiers… » Et c’est peut-être dans cette image-là, qui se conclut pratiquement toujours sur une expulsion agressive d’une femme, que l’action Femen porte. Pour Neda Topaloski, « la violence est démesurée envers la démonstration, la performance de la libération des femmes. » Et c’est cette violence qui résonne ainsi en contrepoint qui donne toute sa justification aux actions Femen.

 

« Ce n’est pas normal que j’enlève mon chandail huit secondes et que les gens en parlent autant, sur les plus gros canaux de communication. De la même manière que ce n’est pas normal que des fascistes nous battent [sous l’acclamation de la foule, comme ce fut le cas ce week-end en France lorsque trois Femen ont interrompu un discours de Marine Le Pen], de la même manière que ce n’est pas normal que des chrétiens évangélistes à Ottawa veuillent nous frapper lors d’une manif anti-avortement à Ottawa. Ce sont ces réactions qui montrent à quel point nos actions sont nécessaires, qui démontrent que les femmes libres ne sont absolument pas tolérées. Et tant que ce sera le cas, je vais continuer. Et les femmes vont continuer, moi ou une autre. »

Via: ledevoir.com


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