Quand on m’a proposé de lire la biographie d’Amina Sboui, plus connue sous le nom de « Amina Femen » ou « Amina Tyler », j’ai tout de suite fait la moue. Bien que soutenant ses causes sur le fonds, la forme qu’elle a utilisée ne m’avait pas convaincu à l’époque.
La lecture de ce livre, m’a permis de passer outre ces préjugés : Amina Sboui n’est pas Amina femen ni Amina Tyler. Le personnage public surmédiatisé est à mille lieues de la personne elle-même.
Amina Sboui est, avant tout une femme de son temps parfois trop naïve que la vie n’a pas épargnée. Son histoire est celle de nombreuses jeunes filles tunisiennes, sauf que contrairement à elles, Amina a décidé de briser les tabous d’une société patriarcale et moralisatrice, de faire de la liberté un droit et de ce droit une réalité, quitte à choquer ; quitte à mettre en branle un confort relatif.
« Mon corps m’appartient » est le titre de ce livre biographique qui sortira la semaine prochaine dans les librairies françaises.
Je ne sais pas encore s’il va être vendu en Tunisie. Je ne vois pas de raisons pour qu’on me censure. J’espère seulement qu’il sera traduit en arabe, d’autant plus que les premières critiques sont positives.
Ecrit en collaboration avec Caroline Glorion, journaliste et écrivain qui a fait des droits de l’Homme son champ de bataille, ce livre n’était pas pour Amina une idée fixe :
Une maison d’édition m’a contactée et m’a convaincue. Il m’a fallu trois mois pour l’écrire. Je l’ai rédigé en anglais et Caroline Glorion l’a traduit en français tout en l’étoffant.
Pour comprendre le personnage d’Amina, il faut remonter très loin dans son enfance. Cette enfance marquée par une mère à la Tunisienne, soumise socialement, pour qui l’avis de l’enfant compte peu, et d’un père aimant, mais distant n’ont fait que forger une personnalité déjà bien trempée.
Qu’on le veuille ou pas, tout ce qui s’est passé durant mon enfance m’a forgée. Ça a fait partie de mes réflexions sur ce qui m’entoure et m’a permis d’être ce que je suis aujourd’hui.
Cette enfance a été marquée par de nombreuses interrogations, sans trouver de réponses chez les personnes qui lui sont proches, se targuant de réponses futiles et autoritaires : « c’est comme ça et puis c’est tout ».
Très tôt elle réalisa, que seule, elle ira à la recherche de ses réponses. Sa quête sera son combat. Un combat contre une société mâle où la femme dès le plus jeune âge n’a pas le loisir de s’exprimer, d’interroger, s’interroger et d’émettre ses opinions. Ces femmes qu’on exploite, trompe, faisons taire. Son enfance en est gorgée d’images : sa nourrice qui se faisait battre et qui ne pouvait pas divorcer, coutume et morale obligent. Ses viols dès l’âge de quatre ans par son voisin, son passage en Arabie Saoudite, ses premières gifles au poste de police à l’âge de 13 ans pour avoir naïvement demandé une autorisation pour organiser une manifestation de soutien au peuple palestinien, dont le massacre avait éveillé en elle une rage immense.
Cette absence d’écoute, d’échanges, de lumière, cette omerta sur la parole de l’enfant et de la femme, l’ont meurtrie. Mais de là est né l’activisme d’une jeune femme naïve, mais courageuse et forte, consciente que personne d’autre n’ira conquérir sa liberté.
La religion aussi occupa une forte place dans sa réflexion personnelle. Dans une société musulmane où l’on menace les enfants d’ « enfer » s’ils ne sont pas sages, la réflexion prend vite le pas. La plupart abandonnent en cours de route, pas Amina. Entre insouciance, naïveté et cartésianisme, elle remet en cause tout ce qui l’entoure, tout ce qui pour la plupart est « ainsi », acquis.
L’indignation à l’égard de l’emprise de la religion sur les femmes notamment en Arabie Saoudite, sa propre lecture du Coran, sa découverte de Jésus, un autre prophète dont elle ignorait l’existence, l’Église de Tunis, le discours d’une religieuse ont fini par la faire désenchantée. Un ras-le-bol s’installe, dans chacune des religions on ne vous présente toujours que le bon côté des croyances, les mauvais, on les découvre par soi-même. La découverte de la littérature parabolique de Gibran Khalil Gibran a contribué à façonner sa pensée.
C’est aussi durant cette enfance que se forge son éveil politique. De ses discussions avec son grand-père, en passant par les réunions chez le père de son amie Balkis, activiste et opposant au régime de Ben Ali, elle découvre une réalité effrayante : les écoutes, la clandestinité de ces réunions de peurs de représailles, mais surtout la réalité sociale : la pauvreté et l’injustice.
Choquée par les événements de Sidi Bouzid du 17 décembre 2010, et traumatisée par l’immolation d’un de ses camarades lycéens, elle s’indigne. Manifestant à corps perdu, le soulagement du départ de Ben Ali a vite laissé place à la déception de voir cette révolution confisquée par les partis politiques.
Le retour des islamistes, la victoire d’Ennahdha aux élections et les premières exactions verbales et physiques : polygamie, mariage ‘orfi, l’affaire Persépolis, n’ont fait que murir ses élans libertaires face à l’émergence d’une « nouvelle dictature religieuse ». Étant à l’origine de ce pourquoi, elle allait devenir célèbre.
Non, je ne cherchais pas la célébrité, mais seulement à faire avancer les choses. Personne n’a agi, il fallait que quelqu’un le fasse. Ce n’est pas du narcissisme !
Les premières photos circulent sur le net sous l’encouragement des FEMEN sans qu’elle sache le tourbillon médiatique que ça entraînera.
Je ne regrette rien. Tout ce que j’ai vécu m’a enrichie !
Dans une forme de désinvolture, d’insouciance et parfois d’inconscience, elle assume. Pour la protéger, sa famille la kidnappe et la surveille de peur que quelque chose ne lui arrive.
Mais parvenant à s’échapper, elle fit son deuxième coup d’éclat à Kairouan lors du Congrès Annuel des Islamistes. Expliquant son acte par « l’envie de signaler sa présence », elle tague le mur du cimetière attenant à la grande mosquée.
Son arrestation, sa nuit première nuit en cellule en compagnie d’une fille ayant tuée son petit copain, sa comparution devant le tribunal, ses nuits à la prison de Sousse sont autant de passages où se mêlent gravité et humour, force et naïveté, courage et lassitude.
Ce qui s’est passé dans cette prison de Sousse l’a marquée à vie : dans des conditions rudimentaires des femmes enceintes ou avec leurs nouveau-nés sont entassés derrière des barreaux se faisant insulter et parfois tabasser.
En lisant le livre, on a l’impression que c’est une prison cinq étoiles, alors que ce n’est pas du tout le cas.
Elle leur ramènera sa fraîcheur et sa révolte malgré ses comparutions incessantes devant le tribunal. Le soutien de sa famille, de ses amis et de ses avocats est pour elle une source dans laquelle elle puise son courage, ce courage nécessaire pour faire face à ce que subissent ces femmes. Leur sort est plus important à ses yeux que le sien. Leur combat deviendra le sien.
Les revenus des ventes me permettront de mettre sur pied un projet de réinsertion et d’hébergement pour les femmes qui sortent de prison. Personne ne leur tend la main.
Sortie de prison au bout d’une énième comparution devant le tribunal, Amina prépare son départ pour Paris. Sous l’impulsion d’une de ses avocates et face à l’impossibilité de finir ses études en Tunisie, un collectif s’organisa pour lui payer son départ et lui permettre de continuer en toute quiétude sa vie loin du vacarme médiatique occasionné à Tunis.
Je termine mes études à Paris. Je ne sais pas si je réussirai mon année, j’ai une gueule de quelqu’un qui réussit !? Je ne sais pas si j’y resterai encore longtemps. La vie est différente ici. Tout est plus speed. Tunis a une ambiance particulière, même si je commence petit à petit à me faire à la vie parisienne.
Je ne sais pas vraiment ce que je ferai par la suite. Journaliste, surement pas, peut être philosophe… », Elle marqua une pause, éclata de rire puis : « …ou peut être strip-teaseuse. On ne sait jamais de quoi l’avenir sera fait !
Cette biographie est un fragment de vie d’une jeunesse livrée à elle-même, malgré les présences physiques, d’une jeunesse inaudible tant par la société que par son propre entourage.
À travers son histoire, Amina décrit une jeunesse tunisienne laissée à l’abandon, ne trouvant pas de réponse à ses questions, qui cherche sa voie.
Du haut de ses 19 ans, Amina a longtemps cherché sa voie. Sans doute est-elle encore entrain de la chercher, de se chercher.
Cette ode à la liberté, au combat, à l’activisme fait réfléchir : sur ses propres jugements (ayant moi-même critiqué ces agissements), sur le modèle de société qu’on veut offrir à nos enfants, sur les relations parents- enfants, mais également sur les injustices d’un système à bout de souffle, d’une humanité qui s’endurcie et d’un individualisme grandissant.
Mieux encore c’est un témoignage. Le témoignage d’une jeunesse ayant soif de reconnaissance, d’avenir, soif d’exister !
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Via: nawaat.org
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