Éloïse Bouton, il y a une vie après les Femen

“Aujourd’hui, je préfère être militante en solo.” Eloïse Bouton, 31 ans, a passé deux ans au sein d’une des organisations féministes les plus médiatisées : les Femen. En 2012, elle pose en couve du best of des Inrocks aux côtés de l’Ukrainienne Inna Shevchenko. Avant de claquer la porte.

La rousse Eloïse explique dans Confession d’une ex-Femen pourquoi elle a quitté le mouvement. Eloïse Bouton découvre le féminisme au lycée avec Violette Leduc et Simone de Beauvoir. Pendant ses études en fac d’anglais, elle se plonge dans l’histoire du féminisme afro-américain. “Les femmes noires en chient plus que les femmes blanches, car elles sont à la fois victimes de racisme et de sexisme”, résume-t-elle. A New York, où elle écrit un mémoire sur les rappeuses américaines, elle manifeste pour les droits des LGBT.

De retour en France, Eloïse cherche son “groupe” : elle va à quelques réunions de Ni putes ni soumises, puis rejoint Osez le féminisme !, avant de s’engager, pendant deux ans, auprès de la Barbe. Ce collectif de femmes intervient dans les lieux traditionnellement dominés par les hommes (AG d’entreprises, jurys de festival, etc.) en portant des barbes, afin de, disent-elles “rendre visible la domination des hommes dans les sphères du pouvoir”. Mais ce n’est pas assez activiste, pour Eloïse. Trop “élitiste et intello”.

Quand elle découvre les Femen, elle pense avoir trouvé LE groupe féministe idéal, et s’engage, avant même que celles-ci créent leur antenne parisienne. “Je n’avais jamais vu ça : c’était transversal, elles allaient sur des sujets comme l’avortement ou la prostitution, mais aussi les religions ou les dictatures. Elles ont aussi ouvert le débat sur le corps politique. Et puis c’était pop, moderne, et enfin on parlait de féminisme dans les médias. Je trouvais super cette imagerie second degré.”

“Un camp d’entraînement” à la Goutte d’or

Mais dès ses premières semaines au sein de l’organisation, Eloïse déchante : “J’ai réalisé que le côté armée, petits soldats, n’était pas si second degré que ça… On faisait des entraînements physiques type armée. Je détestais ça.”, raconte-elle. Les Femen avaient monté un camp d’entraînement au Lavoir Moderne dans le quartier de La Goutte d’or à Paris pour les nouvelles recrues. Si elle ne renie aucun combat, elle critique dans son livre “l’autocentrisme” du mouvement, et détaille ses problèmes de transparence et de communication, en reproduisant de longs extraits de conversations privées.

A-t-elle l’esprit de revanche ? “Non, je rétablis aussi la vérité sur les rumeurs débiles qu’on entend sur les Femen, comme quoi elles seraient financées par Israël, par exemple.” Comment vont réagir ses ex-camarades de lutte ? “Dès que tu n’es pas d’accord, tu es l’ennemie.” Alors qu’elle a déjà pris ses distances, le 20 décembre 2013, elle se porte volontaire pour une action, seins nus, devant l’autel de l’église de la Madeleine à Paris, afin de dénoncer les prises de position de dirigeants catholiques dans les débats sur le droit à l’avortement en Espagne.

Condamnée pour “exhibition sexuelle”

Elle porte sur le dos l’inscription “Christmas is cancelled” (Noël est annulé) et sur le ventre “344e salope” (en référence au “Manifeste des 343 salopes” publié en 1971 par Le Nouvel Observateur dans lequel des femmes revendiquaient le droit à l’avortement). Elle dépose ensuite des morceaux de foie de veau censés représenter l’avortement de l’enfant Jésus. Le temps de quelques photos, et elle s’en va, calmement. Pas de dégradation, pas de violence. Le 17 décembre 2014, alors qu’elle a déjà quitté les Femen, elle est reconnue coupable d’exhibition sexuelle par le tribunal de grande instance de Paris. Condamnée à un mois de prison avec sursis et à verser à l’Eglise 2 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral et 1 500 euros de frais de justice, elle fait appel, et lance une pétition, adressée à la ministre de la Justice Christiane Taubira, demandant la révision de la loi sur l’exhibition sexuelle. C’est la première fois depuis quarante-neuf ans qu’une femme est incriminée pour exhibition sexuelle en France (la précédente jouait au ping-pong torse nu sur la Croisette à Cannes).

Le sein nu féminin est-il donc forcément sexuel ? Ne peut-il pas être politique ? Pourquoi cette différence hommes-femmes ? “Déjà, après l’action à Notre-Dame, tout a été vu au premier degré. Les médias nous ont lâchées, en masse”, précise Eloïse.

Une

En 2012, Eloïse Bouton en une des “Inrocks” avec Inna Shevchenko

Les Femen la soutiennent depuis le début de l’instruction. “Ce procès est la définition même de l’inégalité de genre”, explique Inna Shevchenko, meneuse du mouvement. “Nous sommes fières du passé militant d’Eloïse au sein de notre mouvement, et à chaque fois que nous pourrons la soutenir, nous le ferons.” Va-t-elle lire son livre ?

“Je ne suis pas intéressée, et je ne commenterai pas ce livre. affirme Inna Shevchenko. Les potins n’ont aucun lien avec le féminisme et notre combat commun. Ce qui nous intéresse, c’est la communauté féministe, et ce procès pour exhibition sexuelle. Nous ne sommes pas des ‘féministes en freelance’, comme Eloïse se définit aujourd’hui, après avoir quitté de nombreux mouvements. Nous sommes des féministes à plein temps, et c’est pour ça qu’on sera à ses côtés, jusqu’au bout, dans ce combat contre l’injustice de genre.”

Alix Béranger, membre du collectif Oui Oui Oui, qui défend l’ouverture à toutes et tous du mariage, de l’adoption et de la PMA, analyse le départ d’Eloïse comme “un besoin de dépasser les frustrations liées au groupe, aux temps de concertation, de débats, des échanges parfois houleux. Le groupe est parfois un boulet, je crois qu’il faut se le dire, non ?”.

Eloïse a intégré le collectif Prenons la une, qui œuvre pour la juste représentation des femmes dans les médias. Journaliste freelance, elle dit avoir souffert au sein des rédactions de son étiquette Femen. “Le féminisme est pris comme une opinion, alors que c’est une vision de la société. Certaines personnes pensent que parce que je suis féministe, je vais mal faire mon travail, manquer de neutralité. Mais de quelle neutralité parle-t-on ? Celle d’hommes blancs hétéros de 50 ans ?”

Si elle défend encore les seins nus comme outil politique, elle ne se mettra plus topless. “Sauf sur la plage”, conclut-elle en souriant.

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Confession d’une ex-Femen (Editions du moment), 208 pages, 16,95 €

Via: lesinrocks.com


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