ELLE.fr. Après le buzz de vos photos topless, votre fuite et votre emprisonnement en Tunisie, vous êtes enfin une femme libre. Où en sont vos combats ?
Amina Sboui. J’ai un visa étudiant qui me permet de rester en France jusqu’en août prochain et je bénéficie d’une bourse d'Amnesty International. J’ai plein de projets : avec les droits d’auteur du livre, j’espère ouvrir un centre d’hébergement en Tunisie pour les femmes qui sortent de prison. J’essaye aussi de lancer le mouvement Free the Nipple (ndlr : un mouvement féministe topless né à New York aux Etats-Unis) en France.
ELLE.fr. Dans votre livre, vous revenez sur votre enfance et votre adolescence en pleine révolution tunisienne. Votre parcours explique-t-il votre engagement ?
Amina Sboui. Ma conscience politique m’a été transmise par mon grand-père paternel avec qui je regardais le journal télé dès mes 4 ou 5 ans. Adolescente, je suis devenue amie avec beaucoup d’opposants tunisiens, notamment via Internet. J’étais militante bien avant la chute de Ben Ali. En revanche, mon engagement est devenu féministe après sa chute, en janvier 2011, lorsque les islamistes sont venus devant mon lycée pour distribuer des tracts demandant aux femmes de porter la burqa, de ne pas fumer… Les leaders ont même commencé à parler de polygamie.
ELLE.fr. Vous révélez avoir été violée par un voisin à l’âge de 4 ans, puis régulièrement par d’autres hommes jusqu’à l’âge de 10 ans. Pourquoi est-ce important pour vous d’en parler ?
Amina Sboui. Après ces viols, j’avais honte, je me sentais coupable et j’ai commencé à me scarifier. Peu à peu, j’ai pris conscience que ce n’était pas ma faute, qu’il fallait que j’arrête. Dans le monde arabe, les viols sont très peu dénoncés. Peut-être qu’en parler peut changer les choses et encourager d’autres filles à parler à leur tour. Pourtant, quand je feuillette le livre, je zappe toujours ce chapitre.
« Je voyais les Femen comme des super-héros »
ELLE.fr. En août dernier, vous avez brutalement quitté les Femen. Pour quelles raisons ?
Amina Sboui. Lorsque les trois Femen incarcérées en Tunisie ont présenté leurs excuses au juge pour être libérées, je n’ai pas apprécié. Je voyais les Femen comme des super-héros et leurs excuses ont été une grosse déception. Après ma libération, je leur ai également posé des questions sur leur mode de financement, mais je n’ai jamais obtenu de réponse.
ELLE.fr. Quand vous avez posté votre première photo topless sur Facebook, vous expliquiez : « L’idée que j’allais être assimilée aux Femen, que j’allais basculer dans un tourbillon, ne m’a absolument pas effleuré l’esprit… » Regrettez-vous d’avoir fait partie des Femen ?
Amina Sboui. Je ne regrette pas, car ce n’est qu’après la publication de ces photos que les Femen ont fait des actions que je désapprouve. Si je n’avais pas rejoint ce mouvement, je n’aurais pas fait de prison, je n’aurais pas côtoyé toutes les féministes que j’ai rencontrées. Les Femen n’avancent pas, elles manquent de conscience politique. Pour autant, en tant que féministe, j’espère que ce mouvement progressera. C’est dans l’intérêt de toutes les femmes.
ELLE.fr. Dans votre livre, vous revenez sur votre fugue et la réaction de vos proches. Vous affirmez que certains membres de votre famille vous ont « littéralement agressée » et « kidnappée ». Comment expliquez-vous qu’ils vous aient ensuite laissée tranquille ?
Amina Sboui. Après avoir parlé avec les élites tunisiennes, mes avocats et les journalistes, mon père a pris conscience de l’importance de mes actions. Désormais, il me soutient. Ma mère, c’est différent. Nous sommes en contact, mais elle reste une femme traditionnelle et soumise.
ELLE.fr. Aujourd’hui, vous vivez à Paris et vous avez repris le lycée. La vie en Tunisie était-elle devenue dangereuse pour vous ?
Amina Sboui. Il m’était impossible de terminer mes études en Tunisie. Là-bas, les lycées avaient reçu l’ordre de la ministre de l’Education de ne pas m’accepter. Pour poursuivre mes études, il fallait que je quitte mon pays, je n’avais pas le choix. En Tunisie comme en France, je reçois régulièrement des menaces de mort, mais je préfère ignorer tout ça. Si je meurs, je m’en fiche.
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