Afrik.com : Etant déjà une militante féministe très active, pourquoi vous êtes-vous jointe au mouvement Femen France ?
Loubna Méliane : Le courage soulevé par ces jeunes femmes, en Ukraine comme dans le monde arabe, pour lesquelles les risques sont considérables, a traversé les frontières. L’urgence est là ! La crise actuelle ne fait que précariser davantage la situation des femmes. Il faut absolument agir pour la démocratie. C’est un combat universel qui milite pour une politique idéologique. Alors tout combat est bon pourvu que l’on aboutisse à nos fins.
Afrik.com : Pourquoi avez-vous décidé de manifester seins nus ?
Loubna Méliane : Vous savez, ça n’est pas facile ni évident de se mettre nu ou plutôt de se mettre à nu. J’en ai pleuré pendant 24h. Tous les yeux sont braqués sur vous ; vous regardent et vous jugent. Il s’agit, pour ma part, d’un acte longuement réfléchi qui aurait pu m’être lourd de conséquences, et ce à plusieurs niveaux. Je rappelle que je suis mariée, mère de famille et surtout attachée parlementaire. Et par ce geste d’une force de frappe incontestable, j’aurai pu me retrouver sans le sou du jour au lendemain. C’est un acte politique ni plus ni moins. Après cette action, on ne se sent plus la même ; on sait au fond de soi qu’on a bien fait de le faire.
Afrik.com : Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à vous dénuder ? _ Loubna Méliane : Pendant des années, moi comme beaucoup, nous nous sommes mobilisés afin de changer la condition de la femme. Nous avons multiplié les démarches, les réunions et les rassemblements, les colloques, les manifestations et autres. Mais ça n’a pas marché ! La situation est bien pire aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a quelques années. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 60% des femmes touchent les minima sociaux et 2,5 femmes meurent tous les jours sous les coups de leur compagnon. Le fait de manifester seins nus peut alors choquer. Mais le côté radical de la manifestation qui m’a attiré. C’est une vraie guerre, il en va de notre survie. L’ordre moral n’a plus sa place dans la société.
Afrik.com : Ne pensez-vous pas que manifester « seins nus » n’est pas une nouvelle façon de réduire la femme à son corps et à sa sexualité ?
Loubna Méliane : Non, bien sûr que non. La militante féministe que je suis est pour toutes les formes d’action. Alors si ce geste permet de faire bouger les choses par son côté radical, militant et à la fois provocant, il faut suivre le mouvement. Le corps est ainsi un instrument pour mener une bataille et non pas une référence sexuelle. Il devient un corps désincarné, asexué. Vous savez ce qui gêne ? La nudité tout simplement. Les seins mettent fort mal à l’aise. Les femmes représentent un objet de désir. Nous sommes le diable. Nous portons le péché originel en nous. Alors je me sers de cette image que je renvois comme un miroir. Et avec laquelle, les gens sont obligés de composer.
Afrik.com : Comment se fait le recrutement d’une nouvelle militante ? Et comment sont-elles choisies ?
Loubna Méliane : Il n’y a pas de recrutement à proprement parler. C’est un choix individuel qui conduit les femmes à se lier à notre cause. Leur engagement pour la liberté et les droits des femmes représente, à lui seul, un motif pour enclencher cette bataille pour la démocratie.
Afrik.com : Pourquoi les filles choisies pour manifester dans la rue répondent, quasiment toutes, aux critères de la jeunesse, de la minceur et de la beauté ?
Loubna Méliane : c’est très gentil pour moi comme pour certaines de mes camarades. Sur les photos, la partie du ventre montre clairement sur certaines silhouettes les vergetures dues aux accouchements ou encore les poignées d’amour qui montrent le bout de leur nez. Aussi, l’entrainement des filles permet de garder la ligne même si le but premier est de pouvoir réagir face à la violence policière.
Afrik.com : L’union fait la force. Alors pourquoi les hommes, qui pourtant agissent dans l’ombre au sein du mouvement, sont interdits d’action ?
Loubna Méliane : L’exclusion des hommes peut s’expliquer par la solidarité des femmes dans cette nudité collective. Une solidarité qui se crée entre nous et nous permet de mieux vivre cet instant où nous sommes toutes mal à l’aise ensemble. Le regard des hommes nous aurait beaucoup gêné, je pense, et aurait découragé pas mal de filles, moi la première.
Afrik.com : Inna et Sacha Schevchenko qualifient le mouvement d’antireligieux. Où se situe alors la liberté pour les croyants à pratiquer leur religion telle qu’ils l’entendent ?
Loubna Méliane : Oui, oui et oui, le mouvement est formellement antireligieux. Mais je pense que les Femen s’attaquent principalement à la représentation même de l’église, notamment les cas de pédophilie qui font scandale. Et si on gratte un peu, on comprend qu’elle dénonce aussi, par leurs agissements, le monopole des figures masculines également dans le milieu religieux. Et non pas la liberté des croyants à pratiquer leur religion. Les Femen revendiquent la liberté pour tous, y compris pour les croyants.
Afrik.com : Le mouvement international Femen s’est récemment implanté en Egypte comme en Tunisie. Pensez-vous qu’il a sa place dans les pays arabes ?
Loubna Méliane : Mais bien sûr ! Il a sa place dans le monde entier tant que la condition des femmes n’aura pas évolué. Qui a le droit d’imposer à ses filles et à ses femmes un mode de vie et un mode de pensée ? Heureusement que l’action et le militantisme évolue par le biais des nouvelles générations, de la jeune génération. Internet a joué un rôle essentiel dans cette expression de l’oppression des femmes. Les réseaux sociaux ont été un tremplin extraordinaire pour toutes les voix précédemment étouffées dans les pays arabe comme ailleurs.
Afrik.com : De grandes féministes et figures intellectuelles affirment que l’action des Femen ne relève pas du féminisme et nuit profondément à l’image de la femme. Que répondez-vous à cela ?
Loubna Méliane : Qui a le droit de dire qu’un tel est féministe ou non ? L’optique des Femen est de rassembler quand d’autres mouvements et associations divisent la société par des discours identitaires et moralistes. Ce mouvement prône pour la non-violence. J’ai cette image de la fleur introduite dans les fusils au Vietnam. Nous sommes présentes pour revendiquer le vivre ensemble afin que chacun puisse vivre pleinement et librement peu importe où il se trouve. Comme dit précédemment, le retour à l’ordre moral ne permet pas l’évolution des mœurs et encore moins des sociétés. Une révolution sexuelle est en place, elle rappelle mai 68 d’ailleurs. Dans ce monde qui régresse, un message radical est totalement justifié et légitime.
Via: afrik.com
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