“Nous prévoyons de nouvelles manifestations, mais je vous demanderai de ne pas divulguer ces informations.” Le 17 août, jour du verdict qui a condamné les Pussy Riot à deux ans de camp en Russie, Inna Shevchenko a attaqué l’Église à la tronçonneuse. Au nom des Femen, elle a scié l’immense croix qui jouxtait la principale place de Kyiv. Au nom de ses soeurs d’armes russes aussi. Même si la jeune femme se défend d’être en cavale, elle a quitté le pays sitôt le méfait accompli. Nous avons réussi à la joindre.
Parlez-nous de votre dernier coup d’éclat du 17 août dernier. Quel en était le message ?
Inna Shevchenko - Tout d’abord, je dois vous expliquer que l’un des principaux messages que nous essayons de faire passer à travers notre combat est que la religion, et donc l’Église, répand des valeurs misogynes. Je crois que là où commence la religion s’arrête le féminisme. Nous ne pouvons pas parler de liberté pour les femmes dans ces conditions. L’autre motivation de cet acte du 17 août était bien sûr que le verdict dans le procès des Pussy Riot était rendu ce même jour. Elles sont nos homologues russes et nous ne pouvions évidemment pas manquer ce rendez-vous.
Si je ne me trompe, vous avez fui l’Ukraine. Vous vous cachez ?
Actuellement je ne suis pas en Ukraine, mais cela ne veut pas dire que c’est définitif ! Pour l’instant, la police n’a pas tenté de m’arrêter, bien que la justice ait ordonné une enquête criminelle. Je ne suis toujours pas visée personnellement. Je ne suis d’ailleurs pas en train d’essayer de me cacher ! Nous avons d’autres projets avec Femen, comme toujours. Une fois que je serai de retour en Ukraine, hé bien… je ne sais pas. Je ne sais pas ce qu’il se passera, ni pour moi ni pour mes collègues. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il se pourrait que je doive rester à l’étranger. Nous dérangeons les politiciens ukrainiens, le gouvernement ukrainien. En particulier ces derniers temps. Même en Russie, juste après notre récente action à Kyiv, des croix ont été sciées dans les régions d’Archangelsk et de Tcheliabinsk. Voilà une preuve supplémentaire que nous perturbons aussi Vladimir Poutine et l’Église orthodoxe russe. Quoi qu’il arrive, nous allons continuer notre activisme et enseigner aux autres femmes comment devenir des Femen.
L’Ukraine et la Russie sont-ils des pays comparables en matière de droits de l’homme et de condition féminine ?
En ce qui concerne la situation politique, de manière générale, l’Ukraine n’est certes pas la Russie. Néanmoins, nous, je veux dire notre gouvernement, sommes en train de prendre le même chemin que le gouvernement russe et à très grande vitesse. Dans ces conditions, les activistes sont d’autant plus virulents. Ils sont prêts à tout, y compris au pire, pour stopper ces gens-là. Au moins en Ukraine, on peut encore protester librement. Mais notre société est aujourd’hui très passive, décevante et effrayée de tout. Les Ukrainiens pensent ainsi : “Bon, notre président est comme ci, notre gouvernement est comme ça, nous n’y pouvons rien !” Et la situation empire de jour en jour, notamment parce que les gens ont peur de réagir. Qui plus est, ils réagissent parfois même négativement lorsque l’on critique le gouvernement, par peur encore. Ils n’osent même pas en parler tout bas dans leur cuisine. Mieux, ils n’y pensent même pas. On voit bien comment notre pays est en train de se transformer en dictature et c’est terrible. Dire que quelques années en arrière, c’était la Révolution orange, tout le monde était dehors, même mes parents ! Ils ne connaissaient rien à l’activisme, rien aux manifs, rien à toute cette culture de la protestation. Mais ils sont quand même sortis dans la rue, pour crier qu’ils voulaient la liberté. Ça reste un moment très important pour notre pays. Malheureusement, un gouffre séparait ceux qui faisaient des discours sur l’estrade et le peuple à qui ces discours s’adressaient.
Pensez-vous que la justice ukrainienne puisse vous condamner à plusieurs années de camp comme cela est arrivé en Russie aux Pussy Riot ?
Dix enquêtes criminelles ont été ouvertes concernant les Femen, dont une pour hooliganisme. Pour l’instant, le gouvernement n’ose pas nous arrêter car nous bénéficions d’un soutien international. Néanmoins, les enquêtes sont en cours, la police nous espionne, tente de nous faire peur, essaie de stopper notre mouvement de cette manière. C’est leur stratégie du moment. Par ailleurs, bientôt, nous aurons des élections (parlementaires, en octobre – ndlr). Ce n’est que dans un mois et demi, mais tout le monde sait déjà qui va gagner ! Bien sûr, ce sera le parti de notre président. Personne ne veut voter pour eux, et pourtant, ils gagneront. Je pense qu’après l’élection du parlement, tout peut arriver nous concernant. Nous pourrons être arrêtées. Pas maintenant.
Vous avez en effet beaucoup de soutiens à l’international, vous avez même des Femen, dans plusieurs pays maintenant, y compris en France.
Oui, notre plus important groupe de Femen après l’Ukraine est celui du Brésil, qui possède une trentaine d’activistes topless. Leur leadeuse a passé deux semaines en Ukraine avec nous. Nous lui avons tout appris ou presque à propos des Femen et de la marche à suivre en tant qu’activiste, de la manière d’enseigner cela à d’autres activistes. Elle a eu de très bons résultats dans son pays, nous en sommes très fières. Elles sont assez indépendantes maintenant, même si nous les aidons toujours comme c’est le cas pour nos groupes en France, en Bulgarie, en Tunisie, en Suisse, en Italie, etc. Ce sont un peu nos enfants.
Via: lesinrocks.com
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