Femen. La place prise par sa figure de proue, Inna Shevchenko, et ses déclarations teintées de racisme islamophobe, à l'encontre des pratiquantes et des pratiquants de la religion musulmane. Pour mémoire, son tweet : « Qu’est-ce qui peut être plus stupide que le ramadan? Qu’est-ce qui peut être plus moche que cette religion ? » La suite de l'histoire dira si ce tweet détestable n'était que le dérapage d'une militante un peu grisée par sa surexposition médiatique, ou s'il est un mode d'expression politique des Femens.
Le visage d'Inna Shevchenko a servi de modèle à la Marianne – symbole de la République – figurant sur les timbres français, comme l'a révélé l'auteur du dessin. Après Brigitte Bardot, en guise de Marianne, le Front National s'empressa d'applaudir à l'aubaine. Là encore, la suite de l'histoire dira si ce dessinateur a érigé cette femme en symbole de la République avec une précipitation malencontreuse, conjuguée à une visible absence de concertation, ou s'il a, à l'inverse, fait preuve d'un audacieux esprit visionnaire. Sauf erreur de ma part, la réaction publique d'Inna Shevchenko à l'honneur républicain qui lui était ainsi fait, fut d'exprimer sa satisfaction de pouvoir désormais fantasmer des relations bucco-anales avec certains utilisateurs de vignettes tarifées à usage épistolaire, négligeant pour l'occasion de considérer qu'en réalité nombre de nos timbres sont désormais autocollants...
Pourtant, avant les déclarations de sa porte parole la plus médiatique parce que la plus bruyante, j'ai connu ce mouvement Femen, comme chacune et chacun, je pense, d'abord par ses actions de femmes aux seins nus, la poitrine couverte de slogans peints à même leur peau. Et c'est cela, au départ, qui m'a impressionné, qui m'a intéressé. Dans ces apparitions, le corps de la femme, la poitrine pourtant nue, n'apparaissait à aucun moment comme un objet sexuel esthétique et désirable. Il exhalait au contraire de ces corps une sueur, une laideur très ordinaire et très humaine. Et je trouvais que ces femmes réussissaient là quelque chose de remarquable. Elles montraient leur corps en lutte, jouant à rebours l'imagerie érotique, s'en délestant avec la simplicité de l'évidence. À mille lieue des photos sur papier glacé de Playboy. Un corps de femme vivant, en lutte. Je pensais à Georges Bataille. Je voyais ces Femens filles spirituelles de Dirty, la femme énigmatique du Bleu du Ciel. Un érotisme qui parvenait, au-delà du désir, à l'ambition d'atteindre au vivant. En cela je les trouvaient remarquables, ces Femens. Et belles. Belles parce qu'humaines. Humaines dans la simplicité ordinaire de leur corps vulnérable, à portée de coups qu'elles recevaient parfois. Ce corps humain, comme l'expression la plus rudimentaire, la plus fragile et la plus fondamentale de notre présence au monde.
Alors je me prends à espérer que ce mouvement, avec son expression si spécifique, si particulière, courageuse parce que réellement choquante, ne continue pas de glisser du côté de l'excitation exhibitionniste, avec les dérives signifiantes que cela comporte, comme le montrent les récents tweets d'Inna Shevchenko, mais qu'il continue à inventer le féminisme. Non pas un féminisme qui, sous son vernis de modernisme criard, se revendiquant d'un athéisme d'opérette (comme si l'athéisme était l'hostilité à la religion) cacherait trop mal la réalité de son conservatisme archaïque. Non, un autre féminisme. Un féminisme d'aujourd'hui. Un Femenisme peut-être. Un féminisme n'ignorant pas que beaucoup de femmes prolétaires vivent actuellement dans les banlieues des grandes villes, qu'elles ne sont pas forcément toutes voilées, mais que nombre d'entre elles n'en ont pas moins des liens affectifs profonds avec la culture musulmane. Un féminisme qui ne s'empresserait pas d'emblée d'insulter ces femmes. Un féminisme, même, qui ne redouterait pas de perdre sa belle âme progressiste et occidentale à s'adresser à ces femmes, et à échanger avec elles, d'égales à égales.
De quoi se mêle-t-il, cet homme là, à écrire un billet sur le féminisme ?
Probablement, je réalise que dans mon travail d'éducateur en Seine Saint Denis, je rencontre nombre de femmes en situation de grande précarité, tant physique que morale, et que cette souffrance m'importe. Certaines de ces femmes sont voilées, d'autres non. Je sais que cela n'a aucune importance. Ces femmes, je ne suis pas là pour leur tendre mon mouchoir. Nous tentons, elles et moi, de nous parler, de nous comprendre, et d'avancer un peu dans un sens qui nous paraîtrait acceptable, avec leurs grands adolescents de fils qui font des conneries. Je me heurte parfois à elles dans nos échanges. Il m'arrive aussi de ressentir beaucoup d'admiration pour certaines de ces femmes. Et encore une fois, qu'elles soient voilées ou non, cela n'a aucune espèce d'importance.
Via: blogs.mediapart.fr
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