Inna Shevchenko: «On cherche à nous éliminer»

Après les violences subies par des cadres de son mouvement ce week-end à Kyiv, la cofondatrice des Femen estime que les militantes sont en danger de mort.

Il y a des coïncidences parfois ironiques. Au moment même où les neuf militantes présentes samedi après-midi au «centre d’entraînement» des Femen, à Paris, s’exerçaient devant les journalistes à se sortir des griffes policières pendant une manif, Inna Shev­chenko (23 ans) apprenait la mauvaise nouvelle par téléphone: à l’autre bout du fil, un correspondant anonyme lui annonçait avoir vu une Femen et un photographe du New York Times réalisant un reportage sur le mouvement tous deux salement amochés à l’hôpital de Kyiv. Deux autres militantes cadres se trouvaient en garde en vue. Et la voix anonyme de lui transmettre ses «sincères condoléances». Le groupe et sa leader, qui a récemment obtenu l’asile politique en France et qui risque cinq ans de prison en Ukraine pour avoir tronçonné une croix orthodoxe, sont sous le choc. Après le passage à tabac du consultant politique du mouvement par des inconnus jeudi dernier, c’est au tour de sa fondatrice et présidente, Anna Goutsol, et de sa garde rapprochée d’être brutalisées et neutralisées quelques heures avant d’entamer une action d’éclat contre la visite dans la capitale ukrainienne du président russe Vladimir Poutine et du patriarche orthodoxe russe, le pope Kirill. Après ce nouvel épisode violent, Inna Shevchenko parle d’une répression sauvage qui pourrait bientôt évoluer tragiquement.

Inna, avez-vous des nouvelles de vos amies?
Je sais que l’une d’entre elles et le photographe ont été arrêtés en sortant de leur immeuble puis battus et hospitalisés. Une autre a été arrêtée en compagnie d’Anna Goutsol sur la terrasse d’un café. Elles ont été battues et mises en garde à vue. L’ordinateur d’Anna, qui contient beaucoup d’informations sur les Femen, a été séquestré.

En s’attaquant à la tête du mouvement, les autorités semblent déterminées à lui mener la vie dure ou même à l’éliminer…
Le pouvoir essaie de nous éliminer depuis longtemps. Depuis nos premières actions, il y a cinq ans, nos téléphones sont sur écoute, nos faits et gestes sont surveillés. Plus nos revendications sont précises et ciblées, plus les attaques des autorités sont radicales. Au début, quand nous étions à l’université, on nous menaçait de nous renvoyer. Maintenant que nous jouons un rôle politique, le ton s’est durci.

Vous craignez pour votre vie?
Oui. Nous recevons tous les jours des menaces de mort et de viol. Il y a deux ans, alors que nous manifestions à Minsk contre la dictature du président biélorusse Alexandre Loukachenko, nous avons été kidnappées par la milice biélorusse et emmenées dans une forêt en pleine nuit. Là, on nous a mises à genoux et les hommes ont simulé notre mort par le feu. Le matin, ils nous ont jetées à la rue, à la frontière ukrainienne, les cheveux enduits d’un colorant vert impossible à éliminer avant plusieurs mois.

C’était un avertissement?
Clairement. Avant la visite de Poutine et du pope le week-end dernier, nous en avons reçu plusieurs. Cela a commencé par l’incendie de notre local, ici, à Paris. Puis c’est le chien d’Anna Goutsol qui a disparu. Enfin, il y a eu le passage à tabac de Viktor, notre politologue.

Vous pensez vraiment qu’on cherche à vous éliminer physiquement?
Oui, je suis convaincue que les autorités y songent mais qu’elles ne savent pas comment s’y prendre. Le retentissement médiatique de nos actions leur complique la tâche. Cela dit, sans le secours d’un médecin, Viktor serait mort, à cette heure. Avec cette escalade de violence, les manifs finiront bientôt dans le sang et je redoute une tragédie.

N’avez-vous jamais peur?
Devenir Femen est un choix: il consiste à privilégier l’action et à refouler la peur. Quand vous agissez par conviction, que vous défendez une cause et des valeurs que vous estimez justes, la répression et la violence n’ont plus d’emprise sur vous. Au contraire, elles vous motivent et vous confortent dans vos idées. Accessoirement, et à notre grande satisfaction, elles contribuent à grossir nos rangs.

Combien comptez-vous d’activistes?
Environ trois cents, réparties dans une dizaine de pays, dont le Canada, le Brésil et bientôt les Etats-Unis. Nous avons également beaucoup de membres sympathisants à travers toute la planète, des gens qui développent notre site internet, qui versent des dons, assurant ainsi une grande partie de notre financement. Les choses se développent très vite.

Et en Suisse?
Nous n’avons pas encore d’activiste en Suisse, mais beaucoup de supporters. Cela viendra, sans doute.

On a le sentiment que votre mouvement défend parfois tout et n’importe quoi. Vous avez manifesté contre le zoo de Kyiv, pour soutenir les sinistrés de Fukushima, les Indignés, Occupy Wall Street, le mariage gay. On n’y voit plus très clair…
Je ne comprends pas votre question. Est-ce qu’on demande aux hommes de limiter leurs actions ou leurs débats à des thèmes strictement masculins? La femme a un rôle social, économique, politique, culturel à jouer. Il est donc essentiel qu’elle ait des opinions dans tous ces domaines et qu’elle se fasse entendre. Je ne vois pas où est le problème…

A force de vous disperser, de vous agiter, on se demande si les gens voient encore quelque chose derrière les seins…
Nous sommes en guerre contre la dictature, le patriarcat et, bien sûr, toutes les formes de répression féminine. Je n’ai pas le sentiment que le message soit brouillé ou difficile à décrypter.

Quel bilan tirez-vous après cinq ans de lutte? En quoi, par exemple, avez-vous fait plier les autorités, qu’est-ce que votre action a fait changer concrètement?
Notre objectif était de créer le mouvement en Ukraine où nous ambitionnons d’imposer la démocratie, de le pérenniser puis de lui donner une dimension internationale. On peut dire que cette mission est accomplie. Nous avons aussi remporté quelques victoires. Par exemple, en faisant capoter ce jeu radiophonique néo-zélandais scandaleux, où le prix attribué au gagnant était une femme ukrainienne. Ou encore en forçant l’Etat ukrainien et des promoteurs pourris à rembourser des gens qui avaient payé des appartements qui n’ont finalement pas été construits. Surtout, nous avons réussi à faire du corps de la femme une arme politique. C’est déjà pas mal, non?

La nudité comme mode d’action ne fait de loin pas l’unanimité. Beaucoup de féministes ne vous soutiennent pas…
Je peux vous rétorquer que le MLF, qui réunit des femmes plus âgées, est complètement derrière nous. A chacune ses propres idées et ses opinions. Nous avons besoin de visibilité pour exister. Jusqu’à ce qu’on enlève le haut, les médias ne nous suivaient pas. Se déshabiller est également un acte de liberté, une manière de se réapproprier son corps et une façon de se battre par la provocation dans ce monde d’hommes. C’est également notre seule protection face aux attaques pendant les manifs.

Lorsque vous militiez seins nus contre la prostitution en Ukraine à l’occasion de l’Eurofoot, on avait plutôt l’impression que vous alimentiez la machine que vous étiez en train de combattre…
Nous avons joué la provocation. Qui, hormis les Femen, a placé cet important débat sous le feu médiatique?

Vous ne songez pas à d’autres modes d’action?
Nous réfléchissons constamment à nos stratégies. Mais la nudité est notre marque de fabrique, l’uniforme de nos soldats. Une nudité active, agressive, maîtrisée, par opposition à celle des stéréotypes commerciaux, où le corps de la femme est une marionnette dont les ficelles sont tenues par les hommes. Les Femen ont coupé les ficelles. Nous montrons notre corps pour lui donner une autre dimension, une autre vision, une autre compréhension.

Vous avez eu le courage et le culot de vous dénuder en Tunisie. Beaucoup parlent d’une insulte à la culture musulmane…
C’est ridicule. A travers les droits de la femme, nous défendons les droits de l’homme, qui sont universels et qui ne font pas de différence, à notre connaissance, entre une femme musulmane, catholique, orthodoxe ou autre. Amina, notre Femen tunisienne emprisonnée depuis deux mois, est devenue un symbole de la lutte pour la libération de la femme musulmane. C’est un premier pas, il y en aura bientôt un deuxième…

Vos tweets insultants à l’égard des musulmans (en substance, le ramadan est stupide et l’islam une religion moche) n’étaient pas parmi les plus inspirés et vous vaudront peut-être des représailles…
J’ai déjà pensé que l’incendie de notre local pouvait avoir cette origine. Les Femen ne sont pourtant pas islamophobes mais «religiophobes».

Finalement, vous roulez pour les femmes ou contre les hommes?
Notre action ne se décrit pas en ces termes. Nous roulons pour l’égalité et la justice. Il y a des hommes que j’admire, qui sont plus féministes que beaucoup de femmes et des femmes que je combats. Jamais je ne soutiendrai une Marine Le Pen, par exemple.

Avez-vous un homme dans votre vie?
J’ai des copains, mais pas un homme avec qui j’entretiens une relation suivie. J’ai de très bonnes relations avec tous les hommes qui respectent les femmes.

Vous êtes belle, jeune et pourtant, on vous voit plus souvent en mode combat qu’en mode sourire…
Quand je me réveille le matin et que j’entends qu’une fille de 15 ans s’est suicidée en Egypte parce qu’on l’obligeait à porter le voile intégral ou que les Pussy Riot sont toujours internées à Moscou, je n’ai vraiment pas envie de sourire…

Via: illustre.ch


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