GEOPOLIS - Les faits divers s’enchaînent et se ressemblent. Depuis le film «Much loved» de Nabil Ayouch, les médias marocains font état quotidiennement d’actes d’agressions, de menaces de mort, de procès ou de manifestations contre l’homosexualité ou «la pornographie»… La bataille idéologique ne fait que commencer.
La première semaine de juin, deux Femen, seins nus, se sont embrassées devant la Tour Hassan à Rabat pour dénoncer la criminalisation de l’homosexualité. Deux gays marocains ont voulu reproduire le même geste. Deux manifestations simultanées ont eu lieu devant leurs domiciles. Comment les manifestants ont-ils trouvé l’adresse de ces deux personnes ? Elles ont été livrées à la vindicte populaire par une télévision publique. La chaîne de télévision Al-Aoula (la Une) en a fait un reportage. Elle «a publié leurs photos respectives dans un reportage de son journal télévisé, révélant ainsi leur identité au grand public. Le portail Cawalisse avait même révélé leurs noms complets ainsi que les quartiers où ils habitent, ce qui aurait facilité le repérage de leurs domiciles», s’indigne Tel Quel.
Le 2 juin 2015, Stefan Olsdal, le bassiste de Placebo (lui-même homosexuel)a affiché sur son torse le chiffre «489» barré, appelant ainsi à la dépénalisation de l’homosexualité en supprimant l’article qui punit de 6 mois à 3 ans de prison «quiconque commet un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe».
Une plainte contre Jennifer Lopez pour indécence, des prêches incendiaires contre la décadence des mœurs, des acteurs du sulfureux Much loved menacés – et même l'un d'eux agressé au couteau –, des manifestations hostiles aux homosexuels... l’actualité est submergée par les affaires de mœurs. Ce vent de puritanisme est accompagné sinon entretenu par le gouvernement islamiste du PJD. Ainsi, le ministre de la Communication multiplie les initiatives et les condamnations pour rassurer son électorat conservateur. Mustapha El Khalfi a interdit le film de Nabil Ayouch et saisi la haute autorité audiovisuelle contre la diffusion du concert de la bomba latine Jennifer Lopez.
Ces polémiques à répétition commencent à prendre un tournant politique. L’opposition progressiste sort de son silence, fustige la surenchère puritaine et relève le côté archaïque de la censure. «Le ministre de la Communication ne réfléchit pas mûrement avant de prendre des décisions d’une telle ampleur. Aujourd’hui, ce n’est d’aucune utilité de censurer à l’ère d’Internet. On prend ce genre de décisions pour faire plaisir à certaines personnes à la vision passéiste et on oublie que cela porte atteinte au patrimoine immatériel du royaume. Avec ces positions, on arrive mal à convaincre que nous sommes une exception dans la région en matière d’ouverture d’esprit et de respect des droits de l’Homme», affirme Driss Lachgar, le leader de l'Union socialiste des forces populaires (USFP).
Le royaume du Maroc ne peut pas faire l’économie d’une bataille idéologique.
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