La guerre du sexe a toujours lieu

C'est pour dénoncer ce courant et en particulier sa chef de file, la philosophe Judith Butler, que paraissent deux essais, écrits par deux intellectuelles appartenant au champ du féminisme français.

Quelle «idéologie unisexe»?

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NANCY HUSTON, essayiste franco-canadienne, a notamment publié «Professeurs de désespoir» (2004), une critique du «nihilisme» en littérature. (Sipa)

On ne s'attardera pas sur celui de Nancy Huston, qui ne peut que susciter la consternation: déplorant (à juste titre) la propagande sexiste qui transforme les femmes en objets sexuels, elle accuse les gender studies d'en être complices. En niant les différences biologiques, «l'idéologie unisexe» nous empêcherait d'admettre que les hommes sont naturellement plus violents, les comportements machistes «en partie biologiquement déterminés»,et l'accumulation des conquêtes un trait masculin.

Malgré quelques facilités polémiques (parler de «sociologisme étroit» à propos de l'oeuvre multiforme de Butler rappelle les pires attaques contre Bourdieu), l'ouvrage de Sylviane Agacinski est autrement plus étayé. Elève de Jacques Derrida, elle ne conteste pas que la réalité, y compris physiologique, ne nous est accessible qu'au travers des systèmes de représentations et de normes. La «différence sexuelle» n'en est pas moins, dit-elle, un fait naturel qui échappe à nos constructions, pour la simple raison qu'homme et femme n'ont pas la même fonction reproductrice.

Une objection à laquelle Butler a déjà répondu souvent, admettant volontiers l'existence de réalités biologiques, mais mettant en garde contre les usages que l'on en fait. Trop souvent, celles-ci sont retraduites en une sorte de catalogue de lois «naturelles» qui fixerait les «limites» de l'homme (c'est l'essence même du discours réactionnaire). Or, demande Butler, qui va tracer la limite entre le naturel et le culturel, sinon un discours par essence culturel?

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SYLVIANE AGACINSKI, philosophe et théoricienne de la parité, a notamment publié «Politique des sexes» (1998). (©Hermance Triay)

«Déconstruire», disent-elles

Agacinski fait une autre critique, plus intéressante: au constructivisme de Butler, elle oppose le vitalisme de Bergson et la «pulsion» psychanalytique. De fait, occupées à «déconstruire» les normes, les gender studies oublient que la sexualité est aussi une puissance et une force vitales. En ce sens, un peu de spinozisme ne leur ferait pas de mal... Mais pas forcément avec les résultats espérés par leurs adversaires. Car, chez Spinoza, la nature, loin d'être une table des lois, est plutôt un «donné» qu'il appartient à la liberté humaine de modeler.

Au fond, en culturalisant le sexe, les gender studies ont réactivé l'opposition «nature-culture», aussi vieille que trompeuse. A elles désormais d'inventer une «déconstruction» qui s'en affranchisse.

Eric Aeschimann

Reflets dans un oeil d'homme, par Nancy Huston,
Actes Sud, 306 p., 22,80 euros.

Femmes entre sexe et genre, par Sylviane Agacinski,
Seuil, 168 p., 17 euros. 

= Sur le blog des Féministes en tous genres: Un texte de Geneviève Fraisse sur les femmes et la démocratie

Source: "le Nouvel Observateur" du 7 juin 2012. 

Via: bibliobs.nouvelobs.com


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