Le camp d’entraînement FEMEN à Paris – Le Petit Reportage

Le mouvement FEMEN, vous en avez forcément déjà entendu parler. Ce sont ces militantes ukrainiennes qui manifestent seins nus et battent le pavé en hurlant des slogans contre la dictature, le patriarcat et la religion, jusqu'à ce que des policiers viennent les arrêter. C'est en général le moment qu'elles choisissent pour hurler de plus belle, et attirer ainsi l'oeil des caméras.

Forte de leur succès, les FEMEN ukrainiennes ont ouvert cette semaine une antenne française, qui se situe dans le XVIIIe arrondissement de Paris, dans le quartier populaire de la Goutte d'Or. Cette antenne française, les FEMEN l'appellent plus précisément encore « camp d'entraînement » (elles ambitionnent de mettre en place des cours pour apprendre aux volontaires à entretenir leur forme physique et être capable de répondre aux forces de l'ordre lors des manifestations). Je suis allée les rencontrer et visiter leurs locaux, situés au Lavoir Moderne.

Les seins nus, une arme à double tranchant

Le mode opératoire du FEMEN : le happening pacifiste. Faire du bruit sur le pavé, bousculer l'ordre, choquer la bien-pensance pudique, provoquer sont des moyens revendiqués par les FEMEN pour médiatiser leurs revendications. Ce n'est pas pour rien qu'on les assimile souvent aux féministes des Slutwalks (à ce propos, je vous invite à relire mon interview de Gaëlle, responsable de l'antenne Slutwalk France), en ce sens qu'elles semblent placer la question du corps au centre du débat : « Oui, des seins nus, et alors ? ».

La question du corps. Attardons nous un moment sur ce point, puisqu'il est loin de faire consensus. Car si les FEMEN ont choisi de se dévêtir pour illustrer l'idée qu'en Ukraine, les femmes sont démunies (donc nues) et que sous l'emprise du patriarcat leur enveloppe sociale se réduit à leurs corps, certaines voix s'élèvent pour dénoncer une approche contre-productive de la problématique. C'est par exemple ce que regrette la fondation néerlandaise Strada, qui reproche aux militantes FEMEN de « conforter les femmes dans l'imaginaire sexiste ». Plus mesurée, l'association Osez le féminisme ! laissait entendre il y a deux jours sur France Inter qu'elle « préférait » oeuvrer pour la déconstruction des canons esthétiques, plutôt que les utiliser pour se faire entendre. Car montrer ses seins pour attirer l'attention de l'opinion publique, n'est-ce pas précisément jouer le jeu de la phallocratie ?

Les FEMEN, ce mardi, dans leur camp d'entraînement

"Une forme d'expression plus sauvage"

Pour se défendre, Inna Schevchenko, une des fondatrices du mouvement FEMEN, rétorque : « Le féminisme a abandonné ses formes les plus traditionnelles. Si on veut vraiment bouger les choses, aujourd'hui il faut le repenser. Et manifester torse nu, c'est se réapproprier son corps. C'est l'assumer. »

Se réapproprier son corps ? C'est ce qui a séduit Ludivine, 26 ans, nouvelle militante FEMEN : « Je faisais partie du mouvement Ni Putes Ni Soumises jusqu'à il y a encore quelques mois. Puis je sais pas, j'ai réalisé que quelque chose de plus bestial encore me manquait énormément dans leur ligne éditoriale. Les petites pancartes roses et noires, c'était bien mignon, mais j'avais besoin d'une forme d'expression plus sauvage, presque libertaire. C'est cet esprit-là que je suis heureuse d'avoir trouvé chez les FEMEN. »

Cet enthousiasme, Lucille, une amie de Ludivine, n'est pas certaine de le partager : « J'aime beaucoup ce qu'elles font, mais je ne sais pas quoi penser du gros buzz qu'il y a autour d'elles. En Ukraine, leur couverture médiatique est 10 fois plus conséquente que celles d'autres associations qui se bougent tout autant. Ça me donne l'impression que tout n'est que séduction : elles se foutent à poil, DONC les médias viennent, et elles continuent POUR que les médias viennent. J'espère qu'un vrai débat sort vraiment de ce circuit. »

Aux alentours du local FEMEN, face au cortège de femmes dénudées en ce mardi matin, un passant, étudiant en anglais, est plus optimiste : « Moi je trouve ça cool. Pas juste parce que ça me permet de me rincer l'oeil, hein. Mais parce que ça les amène à avoir un sujet au JT. Ça sert bien leur cause, et si elles se postaient à la sortie des bouches de métro avec une pétition à la main, ça aurait 10 fois moins d'impact. »

Sur le pas de son épicerie, un riverain commente : « Faudra m'expliquer comment on peut respecter des nanas dévergondées, on dirait qu'elles ont rien à dire et qu'elles veulent juste montrer leurs nibards. J'aime pas ça, des enfants pourraient passer et voir la scène. C'est un truc de fille facile, ça. Pourquoi elles ne restent pas habillées et pourquoi elles ne font pas des pétitions sur Internet ? » 

"Une armée de femmes nues"

Mais pour Inna Schevchenko, pas question d'abandonner ce modus operandi : « Nous serons une armée de femmes nues, point final. Je ne savais pas qu'il y avait autant de choses à faire encore en France, j'ai toujours cru que l'Ukraine était un des pires pays en matière de respect des femmes. Mais le sexisme de la vie quotidienne, en fait, il est partout. Même dans les pays les plus industrialisés. » La lutte contre le sexisme, d'ailleurs, n'est pas le seul engagement des FEMEN. Le groupe de protestation entend également militer contre la corruption, la prostitution, le tourisme sexuel, le racisme et les violences conjugales. Le tout saupoudré d'un anticléricalisme affirmé, puisque selon les FEMEN, la religion ne fait que perpétrer les inégalités entre les sexes.

« Fin août, j'ai tronçonné une croix en soutien aux Pussy Riot [voir la vidéo], condamnées pour avoir chanté une prière punk anti-Poutine dans une église. C'était à Kyiv, sous l'oeil des caméras. Depuis, je suis recherchée par les autorités ukrainiennes », explique Inna, autoproclamée « sextremiste ».*

"Nous représentons le nouveau féminisme"

L'extrémisme, c'est donc un état d'esprit revendiqué ? Oui, répond la militante, qui regrette au passage que les associations féministes françaises soient aussi classiques. « Nous représentons le nouveau féminisme. »

Un nouveau féminisme à qui certaines militantes, plus traditionnelles, reprochent son côté « société du spectacle ». C'est notamment le cas de Claire, qui prend le temps de noter que les FEMEN mises en avant sont souvent les plus jolies : « Elles sont blondes, filiformes, elles ont le ventre plat comme dans une pub Danone Bifidus Actif, on dirait des mannequins suédois. Je ne sais pas si c'est fait exprès. Mais même sur leur affiche, elles sont méga bonnes. Je peux pas m'empêcher de penser qu'avec mon gras du bide et mes seins en poire, je dénoterais forcément à côté d'elles. »

Reprendre les stéréotypes apposés aux femmes est de toute façon partie intégrante de la stratégie FEMEN. Clémence, 28 ans, commente : « Je vois ça comme de l'autodérision. Quand elles défilent, ce que je retiens, c'est la culpabilité des gens qui enfin vont s'intéresser à une manifestation, pourquoi ? Parce qu'elles montrent leurs nibards. Je trouve ça puissant de nihilisme. C'est un vrai bol d'air frais, et ça change du féminisme donneur de leçons qui s'abreuve de Beauvoir et se la joue inquisition. FEMEN, ça n'a rien d'académique. C'est la nudité qui s'impose à la rue. C'est des meufs qui se débattent comme des forcenés quand on tente de les arrêter. C'est violent, et pacifique à la fois, parce que si on voulait, on pourrait aussi les laisser faire et ne pas s'opposer à elles. C'est du génie. »

Un bon résumé de la dualité des réactions de l'opinion publique

Dehors, la politesse

Pour Inna, ne pas être « une militante traditionnelle » passe d'ailleurs par l'adoption d'un lexique guerrier. « Nous sommes des soldats. Et nous invitons toutes les femmes à venir nous rejoindre sur les manifestations. Mais pour cela, il faut être aguerrie - physiquement mais aussi mentalement. Voilà l'utilité de notre camp d'entraînement : accueillir les femmes, les booster, les faire courir sur un tapis, taper dans les punching-balls. » En effet, FEMEN met un point d'honneur à ne jamais abandonner : « Quand un CRS arrive, on recommande aux femmes de se débattre coûte que coûte, de ne pas se faire dégager, de continuer à hurler les slogans. C'est ça, être activiste. Ne jamais laisser tomber. »

Pour Éloise, sympathisante (mais pas militante, car elle « préfère garder [son] indépendance »), ce zèle est une vraie plus-value : « Les féministes qui trouvent que montrer ses seins c'est contredire la cause, je trouve leur critique autoritaire et déplacé. Cet argument revient à opposer à un moyen d'action, une stratégie pensée pour créer le buzz, des happenings impertinents et décalés, un argument d'autorité qui se prend très au sérieux et tourne en boucle. Et puis, "déconstruire" suppose justement accepter d'autres formes de contestation de la norme. Oui, pourquoi pas la caricature d'une Barbie punk qui reprend à son compte les clichés pour pointer des stéréotypes qui nous aliènent toutes, si ça fonctionne ? Peut-être que s'il y a quelque chose que "le féminisme ne doit plus utiliser", c'est la politesse ! »

Bref, alors que le débat tourne toujours autour de la problématique « se mettre seins nus pour militer, est-ce que c'est puiser dans le terreau du sexisme pourtant dénoncé OU provocant de génie parce que ça permet une réappropriation du corps ? », les FEMEN promettent de bientôt donner plus d'informations sur leur camp d'entraînement et de mettre en ligne un site en français.

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