La marque de commerce des Femen - des manifestations de belles et jeunes femmes aux seins nus - était l'objet de nombreuses critiques au sein du mouvement féministe. On dira qu'il n'est donc pas surprenant d'apprendre que cette idée est en fait celle d'un homme, mais ne soyons pas cyniques. Depuis sa création en 2008, le groupe féministe ukrainien avait fait des petits un peu partout sur la planète, y compris au Québec, et avait gagné en crédibilité.
Coup de théâtre ou autre bon coup de publicité? Le film de la cinéaste australienne Kitty Green, L'Ukraine n'est pas un bordel, présenté cette semaine à la Mostra de Venise, révèle non seulement que l'éminence grise du groupe était un homme, Victor Svyatski, mais qu'en outre, c'était un être dur, méprisant et contrôlant à l'endroit des Femen, bref un misogyne de la pire espèce.
«Il pouvait être horrible avec les Femen, a raconté au quotidien The Independent la réalisatrice Kitty Green, qui a passé un an à filmer les membres du groupe. Il leur criait dessus et les traitait de salopes. Il les choisissait toutes belles, car plus elles étaient belles, plus elles faisaient vendre des journaux. Les plus belles filles se retrouvaient en première page, c'est ce qui faisait vendre la marque "Femen".»
Dans le film, le principal intéressé, qui n'a pas caché avoir été sexuellement attiré par «ses filles», n'est toutefois pas tendre à leur endroit. «Elles sont faibles et n'ont aucune force de caractère, a-t-il déclaré. Elles n'ont même pas le désir d'être fortes. Elles sont soumises, elles manquent de ponctualité et de bien d'autres choses qui les empêchent de devenir des militantes politiques.»
À mi-chemin entre le chef de secte et le pimp, ce tortionnaire nouveau genre aura donné naissance à une nouvelle expression: le féminisme patriarcal. «Les paradoxes font partie de l'Histoire, a déjà déclaré Victor Svyatski en entrevue. Après tout, Marx et Lénine étaient des bourgeois.» On rirait si ce n'était pas si tragique...
Une histoire de patriarcat
On pouvait entendre un autre son de cloche dans les pages du Guardian hier. Dans une lettre ouverte publiée sur le site web du quotidien britannique, une des fondatrices du mouvement, Inna Shevchenko, écrit: «Oui Svyatski faisait partie du mouvement des Femen. Il n'est pas le fondateur ni le créateur de notre stratégie des seins nus ni de notre idéologie, mais il a déjà dirigé notre mouvement pendant un moment. Le film ne raconte pas la naissance des Femen, mais plutôt la lutte à l'intérieur du mouvement pour se libérer de Svyatski.»
Inna Shevchenko raconte qu'à l'origine, les Femen étaient un mouvement fondé par de jeunes étudiantes au sein d'une culture «où ce sont les hommes qui parlent et les femmes qui écoutent, où ce sont les hommes qui décident et les femmes acceptent leurs décisions». C'est, selon elle, ce qui explique pourquoi Svyatski est devenu leur leader. «C'est une histoire de patriarcat, de sexisme, de domination masculine et d'oppression à l'endroit des femmes, écrit Inna Shevchenko dans The Guardian. Aujourd'hui, les hommes qui font partie des Femen nous appuient, mais ils ne nous dominent pas.»
Coïncidence, aujourd'hui a lieu, dans le cadre du festival de photojournalisme de Perpignan, en France, une table ronde sur les Femen organisée par le magazine ELLE. Y a-t-il un avenir pour les Femen aujourd'hui? La stratégie des Femen renouvelle-t-elle le combat féministe? Ou au contraire le réduit-elle au "sensationnel" ? Voilà le type de questions au programme de la rencontre. Gageons qu'il sera beaucoup question du film de Kitty Green et de Victor Svyatski.
Via: lapresse.ca
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