"Les Femen parlent le langage de notre époque : le trash"

Marianne : La dégradation par les Femen des cloches de la cathédrale Notre Dame, à Paris, en février dernier, s’achève aujourd’hui par le jugement du dernier volet de l’affaire. Les féministes sont-elles désormais réduites à instrumentaliser leur corps pour lutter contre l’instrumentalisation du corps des autres ?
Marie-Josèphe Bonnet : Les Femen parlent le langage de notre époque : le trash, quand on se met à poil, tout le monde en parle. La société est complètement sous l’emprise de l’image du corps des femmes, elle le regarde mais ne veut pas les écouter. C’est donc leur façon à elles, les Femen, de parler, avec le corps. Mais il y a d’autres femmes qui parlent avec la bouche. Seulement, elles ne sont pas entendues. Quand on dit, par exemple, que ce n’est pas normal que les femmes touchent 25 % de moins que les hommes pour le même travail, les politiques ne bougent pas. Les syndicats non plus d'ailleurs. Ils n’ont jamais fait grève pour que les femmes soient payées autant que les hommes.
 
N’y aurait-il pas également un problème d’écoute des féministes entre elles ?
Il y a un problème de relais. Nous les « vieilles » si je puis dire, c’est-à-dire la génération des années 1970, on est toujours sur le pont. On se demande où sont les jeunes ? Elles veulent se marier maintenant les jeunes, du moins les jeunes lesbiennes, faire des enfants et devenir comme tout le monde.
 
Les « jeunes » ne serait-ce pas, entre autres — même si l'on peut le regretter —, les Femen ?
Oui mais on aimerait entendre les autres contestataires de l'ordre patriarcal. Il n'y a qu'un seul type de langage pour l'instant qui est entendu : les seins nus parce que c'est une action spectaculaire. Or le féminisme a plusieurs langages : l'art, la littérature, la philosophie, la politique et même la sociologie des genres, la seule d'ailleurs qui soit passionnément critiquée ou défendue, comme s'il ne restait plus que le terrain de la sociologie pour penser.
Maintenant, il n’y a malheureusement plus de mouvement de masse, tout le monde est planqué derrière son ordinateur. On est dans l’abstrait, on n’est pas dans le corps-à-corps, on n'est plus dans le face-à-face. D’une certaine manière, au moins les Femen ont ramené le corps... Mais à l’heure actuelle on ne sait pas quel élément pourrait fédérer l’énergie des femmes. C’est très dispersé.
 
Justement, sur quoi les féministes sont-elles d’accord ? Les divergences sont très marquées tant sur la pénalisation des clients de prostitués, que sur la GPA, par exemple ?
Les « féministes », moi je ne sais pas ce que ça veut dire. On ne sait plus ce que ça veut dire être féministe aujourd’hui. C’est bien ça le problème. Il y a de tout, tout le monde est féministe. Néanmoins, c’est sur la question de la gestation pour autrui que se fait le clivage aujourd’hui. Vous avez un mouvement qui se dit progressiste mais qui, en réalité, est très réactionnaire, qui retourne vers la marchandisation du corps des femmes. On se rend compte que les femmes sont toujours exploitées, leur corps est toujours à vendre et maintenant c’est le fruit de leur corps (les enfants) qui est à vendre lui aussi !
 
Dans un entretien accordé à Libération, Elisabeth Badinter se dit, elle, « inquiète » de la multiplication de « courants », de « discours », parfois « opposés »...
La confusion est très grande aujourd'hui sur les objectifs, les désirs, les politiques féministes. On s’aperçoit qu’on ne pense pas toutes pareil ? C’est évident. Il y a une désertification ? C’est inévitable. On est quand même différentes. La question, c’est se mettre d’accord sur des politiques à mener. Par exemple, dans notre groupe, le Collectif pour le respect de la personne (CORPS), il y a des femmes de droite et de gauche. On s’est mise d’accord pour lutter contre la GPA et les lobbies des agences de fertilité, très actives, alléchées par les perspectives d'un marché considérable. Le plus important est de reprendre la parole publique, éveiller les conscience.   
 
Qu’est ce qui, aujourd’hui, a changé dans votre engagement ?
La manière de témoigner et d'exprimer mon engagement. De nos jours, l'engagement est plus ponctuel. Dans les années 1970, nous avons vécu des années exceptionnelles, c’était un engagement collectif, exaltant, qui a changé nos vies. J'ai pu devenir écrivain grâce au mouvement de libération des femmes. Aujourd’hui, on est touchée par le chômage et la pauvreté. Ça change beaucoup de choses. Les gens se battent d’abord pour se nourrir. Dans notre jeunesse, on pouvait bosser quand on voulait, c’était la grande différence. On trouvait du boulot tout de suite, donc on pouvait supporter l’insécurité. Alors, quand j’entends que la France est la cinquième puissance mondiale, je me dis qu’il y a un gros problème. Le néolibéralisme a tout déréglementé. Et ça donne quoi ? Des riches qui s’enrichissent et des pauvres qui désespèrent. 

Via: marianne.net


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