Tout ça pour ça…", a lâché Dominique Strauss-Kahn en se dandinant, à la sortie du tribunal de Lille, relaxé comme ses copains Pazlowski et Dodo la Saumure. Et ses avocats Henri Leclerc, homme de gauche, président de la Ligue de défense des droits de l'homme (de 1995 à 2000) et Richard Malka, riche et célèbre défenseur de "Charlie", de commenter "Le dossier était totalement vide" et "On a voulu faire à tout prix d'un innocent un coupable !" Voilà donc DSK proclamé victime - de la presse, de la haine sociale et de l'incompétence juridique du peuple.
Mais imaginons que l'une de ses proies, déclarée non-prostituée mais "libertine", ait eu les moyens de se payer ses avocats ! Je pense à Jade, qui a eu le courage de raconter les "parties fines" durant lesquelles l'ancien président du FMI lui infligeait sa sexualité "un peu rude", convient-il, faraud. A 41 ans, cette ancienne prostituée, passée par les clubs "Madame" de Dodo, se souvient d'avoir dormi dans la cave "en tenue" pour être prête, dès l'arrivée du client, à se présenter "les filles alignées comme de la viande aux crochets, les petites, les minces, les grosses, les Noires, les Asiatiques, les Africaines, les blondes… toutes ayant un passé de maltraitance," constate-t-elle tristement.
Elle a encore des révoltes : "Payer n'autorise pas à traiter des êtres humains en choses !"… Pourtant, reconvertie dans le civil, Jade supplie qu'on ne dévoile pas son vrai nom : elle craint des représailles sur ses enfants…
40 000 prostituées, dont 85 % de femmes
Des ténors du barreau se seraient-ils portés à son secours (je rêve !) cela n'aurait sans doute pas modifié le verdict : la loi s'imposait, et c'est la loi qu'il fallait changer. Car cet esclavage pratiqué dans l'indifférence ne peut plus durer ! Pour quelques centaines de femmes qui, selon la philosophe Elisabeth Badinter, exercent "de façon indépendante et occasionnelle" en profitant de cet "acquis des luttes féministes : la libre disposition de son corps", combien n'ont pas eu le choix ?
Les chiffres officiels, qui ne comprennent pas toutes les "filles de l'Est" et nouvelles arrivantes d'Afrique, sont accablants : il y aurait, en France, 40 000 prostituées, dont 85 % de femmes. 30 % d'entre elles font encore le trottoir, mais 62 % racolent sur internet, et 8 % dans des "salons".
Loi moraliste
C'est là, dans un "Club érotique", le "Venesia", à Genève, que Sophie Bouillon, 31 ans, jusque-là grand reporter en Afrique du Sud, couronnée par le prestigieux Prix Albert-Londres, a entamé sa formidable enquête publiée sous le titre "Elles, les prostituées". De Johannesburg à Genève en passant par Paris, elle a rencontré un grand nombre de jeunes filles mais aussi de femmes d'âge mûr comme Laurence, venue témoigner devant une commission du Sénat, et elle a su les traduire avec sa sensibilité d'écrivain.
Elles disent le manque d'amour et les coups depuis la petite enfance, l'alcool, la honte que l'on cache en faisant mine d'avoir "choisi ce métier", le dégoût du client ("il sent mauvais des aisselles et de la bouche, il est gros, gras, me révulse…")
Pas plus que moi, pourtant, Sophie Bouillon ne sait quelle serait la meilleure loi. Interdire, comme le fit Sarkozy, le "racolage passif" ? C'était condamner des milliers de mères de famille à une misère plus grande. Pénaliser le client, comme l'a décidé, vendredi, l'Assemblée nationale ? Cela obligera les proxénètes à vendre les filles dans de pires conditions d'insécurité… La solution ne passe pas par une loi moraliste mais par des formations professionnelles, un suivi médical et social, une prise de conscience des clients. Et, surtout, par le respect.
Via: midilibre.fr
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