Les seins des Femen : "Par de pareils objets les âmes sont blessées …

Par Roseline Letteron.

Le 17 décembre 2014, le tribunal correctionnel de Paris a condamné une jeune femme pour exhibition sexuelle. En décembre 2013, alors qu’elle appartenait alors au groupe Femen, elle avait pénétré seins nus dans l’église de la Madeleine. Posant les bras en croix devant l’autel, un foie de bœuf dans chaque main, elle entendait évoquer « le fœtus avorté du Christ » et dénoncer la position anti-avortement de l’Église catholique. On en conviendra, les actions symboliques des Femen ne sont pas toujours faciles à décrypter. Quoi qu’il en soit, le curé de la Madeleine a porté plainte et obtenu la condamnation de la prévenue à un mois de prison de sursis pour exhibition sexuelle, auquel il faut ajouter 2000 € de dommages-intérêts et 1500 € pour les frais de justice.

La question qui se pose est évidemment celle du fondement juridique de la condamnation. Aux termes de l’article 222-32 du code pénal (c. pén.), « l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». Observons que ce délit d’exhibition sexuelle a succédé à l’ancien « outrage public à la pudeur », dont on trouve l’origine dans le décret législatif du 19 juillet 1791 et dont la définition avait été jugée trop floue. Dès lors qu’il était bien difficile de donner un contenu juridique à la notion de pudeur, il apparaissait encore plus délicat de préciser quel comportement était susceptible de lui faire outrage.

Les éléments constitutifs du délit d’exhibition sexuelle

Le droit actuel est-il pour autant dépourvu d’incertitude ? L’article 222-32 c. pén. ne donne aucune définition de l’exhibition sexuelle et c’est la jurisprudence qui a précisé les éléments constitutifs de ce délit. Il est constitué lorsque deux conditions cumulatives sont réunies : il doit s’agir d’un acte de nature sexuelle, et cet acte doit être exhibé, c’est-à-dire avoir été accompli aux yeux du public.

Les « actes de nature sexuelle »

La jurisprudence distingue trois catégories d’« actes de nature sexuelle » : l’exhibition de rapports sexuels, les gestes obscènes et enfin l’exhibition des parties sexuelles du corps. En l’espèce, la condamnée n’a pas mis en scène de rapport sexuel et ne s’est pas livrée à des gestes obscènes. En revanche le juge estime qu’elle a exhibé une partie sexuelle de son corps. Aux yeux des Femen, le simple fait de considérer les seins comme une partie sexuelle du corps est discriminatoire dès lors que l’exhibition du torse d’un homme n’est pas considérée comme une exhibition sexuelle.

Une « partie sexuelle » du corps ?

La jurisprudence sur la question de savoir si les seins constituent une partie sexuelle du corps est à la fois ancienne et rare. Dans un arrêt du 22 décembre 1965, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré qu’une jeune femme jouant au ping pong sur une plage les seins nus commet « une exhibition provocante de nature à offenser la pudeur publique et à blesser le sentiment moral de ceux qui ont pu en être les témoins ». Cette décision, datant de l’époque de l’infraction d’outrage public à la pudeur, paraît aujourd’hui très datée, notamment dans la mesure où elle ne tient aucun compte du lieu où s’accomplissent les faits reprochés, en l’espèce sur une plage. Nul n’ignore qu’aujourd’hui le port du monokini est largement toléré sur les plages, rendant très improbable un contentieux similaire.

Avant cet arrêt cependant, la Cour de cassation avait confirmé, dans une décision du 9 mai 1962, la condamnation d’un homme ayant aidé une jeune femme à se déshabiller pour exhiber ses seins en bordure d’une autoroute. De son côté, le tribunal correctionnel de Grasse, le 29 mai 1965, avait condamné sur le même fondement une femme se promenant nue dans les rues d’une station balnéaire. Dans ces deux hypothèses, l’infraction était constituée alors que l’exhibition avait eu lieu dans des lieux publics autres que la plage. La décision du 17 décembre 2014 montre que cette jurisprudence n’est pas obsolète.

Doit-on souhaiter sa disparition ? L’argument essentiel contre celle-ci est un argument a contrario, développé à l’audience par l’avocat du curé de la Madeleine. Si l’on considère que l’exhibition sexuelle n’est pas applicable aux seins, sera-t-il encore possible de considérer le fait de les toucher comme une agression sexuelle (art. 222-27 c. pén.) ? L’argument n’est pas sans intérêt, et il est vrai que l’on peut voir une certaine contradiction à considérer les seins comme une « partie sexuelle » lorsqu’ils sont agressés par un tiers et comme un élément du corps humain dépourvu de toute connotation sexuelle lorsqu’ils sont exhibés. L’action des Femen devient alors peu lisible, puisqu’elles exhibent leurs seins dans un but volontairement provocateur, alors que, dans le même temps, elles nient le caractère transgressif d’une telle démarche. Certes, mais il n’en demeure pas moins qu’entre l’exhibition sexuelle et l’agression sexuelle, il existe une différence fondamentale : dans le premier cas, la femme choisit de montrer ses seins, dans le second elle subit un attouchement auquel elle n’a pas consenti.

La publicité de l’exhibition

À dire vrai, ce débat n’a pas beaucoup de sens, car l’essentiel réside sans doute dans le second critère de l’exhibition sexuelle : le fait qu’il se déroule aux yeux du public.

Souvenons-nous qu’en l’espèce, la Femen avait soigneusement prévenu la presse de son action, et que l’exhibition s’est produite sous les yeux d’une chorale qui répétait dans l’église. Conformément à la jurisprudence traditionnelle en ce domaine, il n’est pas nécessaire de prouver que les membres de cette chorale ont été choqués par le spectacle. Il suffit qu’ils en aient été les témoins involontaires. Le caractère délictueux réside dans le fait que la nudité est imposée à la vue d’autrui. Peu importe le mobile, volonté de choquer ou pulsion purement personnelle.

De la même manière, l’article 222-32 précise que l’exhibition sexuelle doit s’être produite dans un lieu accessible aux regards du public. Sur ce point, la jurisprudence se montre d’ailleurs très compréhensive dès lors que l’exhibition s’est produite devant des témoins involontaires. Dans un arrêt du 31 mars 1999, la chambre criminelle a ainsi considéré qu’un cabinet d’avocat était « accessible aux regards du public », dans l’hypothèse d’un exhibitionniste exerçant son coupable penchant dans le bureau de son avocat, sous les yeux d’une collaboratrice. Dans le cas de notre Femen, il est évident que l’église de la Madeleine est un lieu ouvert au public, fréquenté non seulement par la chorale qui y tient ses répétitions, mais aussi par des fidèles et des touristes.

Pétition ou QPC ?

En l’état actuel du droit, il ne fait guère de doute que le délit d’exhibition sexuelle est constitué et que le tribunal correctionnel n’a pas commis d’erreur de droit en condamnant la Femen. Ces dernières dénoncent son caractère discriminatoire dans une pétition. Une telle initiative ne risque pas d’apporter la moindre réponse au problème juridique posé. Une Question prioritaire de constitutionnalité, en revanche, pourrait être déposée à l’occasion d’un appel et permettre une clarification juridique. Certes, il est probable que le juge constitutionnel refuserait de se placer sur le fondement du caractère discriminatoire de l’infraction. Toujours perspicace, il considérerait sans doute que le torse d’une femme n’est pas tout à fait identique à celui d’un homme.

En revanche, il serait possible d’invoquer l’absence de clarté et de lisibilité de la loi. En matière de harcèlement sexuel, la loi du 6 août 2012 a ainsi été votée après la déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions anciennes par la décision du Conseil constitutionnel datée du 4 mai 2012. À l’époque, le Conseil s’est précisément fondé sur l’absence de clarté et de lisibilité de la loi qui définissait le harcèlement sexuel comme « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ». Cette définition tautologique est apparue au juge trop incertaine, faisant notamment disparaître le caractère nécessairement répétitif du harcèlement. L’article 222-32 c.pén., celui-là même qui punit l’exhibition sexuelle, ne donne, quant à lui, aucune définition de cette incrimination. Cette lacune peut-elle être analysée comme un manquement à la clarté et à la lisibilité de la loi ? La question mérite sans doute d’être posée.


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